Certains s’en vont passer l’été dans les îles paradisiaques, se dorer la pilule et s’aérer l’esprit, les doigts de pieds en éventail. Un livre dans une main parfois, le dernier roman de l’été ou l’aventure du big bang expliquée par Trin Xuan Thuan. Et puis il y a les autres, qui aiment mieux rester tranquillement chez eux et vaquer à leurs affaires. Parmi les derniers l’on trouvera le gentilhomme livresque qui expédie par colis postaux ces dernières nouveautés de l’été en question accompagnées parfois des appels tapageurs de coucous endimanchés.
Voyons, voyons, de qui suis-je en train de vous parler ? Ne serait-ce Monsieur Fleuve, dont voici le portrait :
Grossissons le trait pour ceux d’entre vous qui auraient encore un doute :
Eh oui, il s’agit bien de Monsieur Fleuve, celui au plus grand débit du globe terrestre. Ce monsieur qui aime bien s’acheter son journal le matin. L’autre jour d’ailleurs aux côtés de son croissant tout chaud il s’est acheté le Washington Post ; pour la modique somme de deux cent cinquante millions de dollars. Le petit déjeuner est un repas qui se savoure goulument, nul ne le contestera.
Je vous présente Monsieur Fleuve de son petit nom Bèse-Os, le bien-aimé de Washington et le mal-aimé du monde des lettres et des livres d’ici et d’ailleurs. Il en a rongé des os dont ceux de nos poules et coqs traditionnels caquetant dans l’univers du fin papier. Oh ! À ce jour il s’était limité au papier relié, cette chose vieillotte que l’on nomme livre, à défaut de le passer au four et de le rendre électronique. Désormais le glacé et le pressé, en Vogue ou en V-Fair, Monsieur Fleuve embrasera aussi.
Reprenons depuis le début. Je n’ai que peu de temps ce matin, il m’est impossible de plonger aux sources du fleuve. Aussi nous nous limiterons aux épisodes de cet été 2013.
Episode 1. :
La Pomme est condamnée pour avoir voulu s’entendre avec les éditeurs.
C’est désuet de consulter les éditeurs au sujet des prix et des conditions de vente de livres. Et puis de vouloir contractualiser ce type d’entente, cela ne se fait plus, surtout dans le monde du e- car la loi du marché en a décidé autrement. Le judiciaire de Washington s’emploie donc à satisfaire le marché fleuve.
(En d’autres mots : Épisode 1. La pomme condamnée)
Épisode 2 :
Le vénéré président de ce grand pays qui héberge Washington s’enferme dans un entrepôt.
À quoi bon faire la tournée des popotes ? Ce n’est pas bon de se ravitailler à tous les râteliers. Il est parfaitement déconseillé de trainer ses guenilles chez des dizaines et des dizaines de libraires. Et puis d’abord, ils n’existent plus, paraît-il. Non, il vaut mieux, tel Pinocchio, plonger dans l’antre, se laisser ravir par la baleine. Maritime et aquatique nous préférons. Voici donc un puissant président d’un non moins puissant pays qui se va saluer un autrement plus puissant conquérant, celui-là très entrepreneur. Si trop preneur qu’il eut tôt fait d’avaler les libraires petits et grands. Monsieur le président est donc tenu de prier aimablement le grand Fleuve de bien vouloir recruter grand nombre de petites mains pour les besoins de l’antre fatal. On appelle cela de la création d’emploi. Merci donc à l’ami Os pour sa création d’amples lois. Nous voici revenus à la loi du marché. Le judiciaire était dans une poche, l’exécutif se plie pour rentrer dans l’autre poche. Washington se gagne étape par étape.
(En d’autres mots : Épisode 2. S’enferme dans l’entrepôt)
Épisode 3.
Sire Os s’achète donc, à ce moment-là, le fameux croissant tout chaud et petit déjeune d’un Post complet.
(En d’autres mots : Épisode 3. Le croissant chaud avec un bon Post)
Épisode 4.
Monsieur Fleuve retrousse les manches et dépose le journal chez vous.
Je ne sais chers amis si cet épisode marque la fin du feuilleton d’été puisqu’il parut sur toutes les chaînes un peu après la mi-août. Mais elle boucle une boucle. Le fleuve serpentin ne se mordra point la queue, c’est une géographie autre qui s’opère. Celle de la distribution électronique. Distribution d’idées et de pensées. Intellectuels de tous ordres, faisons une révérence digne de notre grand souverain de demain. Agenouillons-nous, aplatissons-nous au sol devant notre grand maître Os et n’oublions pas que nous sommes tous ses sujets. Désormais les souscriptions sur le large fleuve électronique sont actives. Journaux, magazines, livres et bien d’autres pacotilles s’y flottent. En un clin d’œil tout ceci nous sera livré sur un plateau d’argent, directement porté sur notre téléphone intelligent ou nos savantes tablettes.
(En d’autres mots : Épisode 4. Le nouveau livreur de journaux)
Quel était donc le nom de ce feuilleton que je viens de vous restituer à la va-vite ? La Distribution de contenu très probablement. Je me suis ridiculisée à employer les termes livres, journaux et magazines, mais désormais « contenu » contient tout cela. L’Os distribue tout. Et nous ? Ne lisons rien ?
Admirons le XXIème siècle qui vient de tomber la veste et qui se révèle enfin. Un nouveau paysage se met en place et si nous ne l’avions vu venir, il serait temps que nous l’accueillions dignement.
Pour ceux d’entre vous qui souhaiteraient une retranscription de ces épisodes, voici le récapitulatif de ce conte fantastique
Épisode 1. La pomme condamnée
Épisode 2. S’enferme dans l’entrepôt
Épisode 3. Le croissant chaud avec un bon Post
Épisode 4. Le nouveau livreur de journaux
Et en prime quelques inédits…
C’est tout un art
Si malin que ça?