Pensées nées de mes lectures de juillet 2013
Comment fait-on pour produire une montagne, ou des nuages dans son jardin? Rien de plus simple : on les invite à venir s’y présenter. L’art du jardin japonais sait faire cela et mille autres choses encore ayant pour objet de conduire le visiteur et arpenteur à progressivement quitter le monde du dehors et plonger dans un univers zen, paisible et doté de profondeur. L’agitation du monde se transforme en pureté et extase. Et l’esprit serein contemple alors la montagne qui est là dans le lac, langoureusement caressée par les nuages qui passent. Faut-il en déduire alors que le jardin n’aura offert que l’illusion de la présence de ces éléments de la nature ? N’aurait-il transmis de même qu’une illusion de béatitude ?
N’est-ce pas le rôle de la fiction, très précisément, tel un jardin japonais, d’inviter les montagnes et les nuages de la pensée et de la vie humaine à faire de fugaces apparitions en son sein ?Un roman n’est-il pas là pour donner lieu à un monde tel que nous l’aurions – ou aurions pu – l’intérioriser ? Un monde qui se dévoilerait progressivement, le temps passant, cependant que nous cheminons dans le jardin de la vie… Les livres excellent dans cette capacité d’évasion qu’ils offrent ; une évasion au plus profond de soi, de ce soi de l’écrivain partagé généreusement avec vous et moi.
Mes lectures m’ont parlé de cela en ce mois de juillet, de la possibilité d’un monde et de sa réalité comparée. Aujourd’hui plus que jamais ces questions semblent être d’actualité. Cela me rappelle un épisode du Mahabharata, épopée indienne ancienne, écrite en vers sanscrits. Dans les débuts du récit le Brahmane Vyasa, conteur de l’histoire, est pris dans une impasse. Le prince, désigné pour être l’époux de deux princesses de haute lignée qui attendent de devenir reines, a rendu l’âme et il est nécessaire de trouver une solution afin que l’histoire continue ; et que ces princesses-reines deviennent mères. Vyasa, grand sage révéré et demi-frère du prince défunt est donc prié de se rendre auprès d’elles, dans l’histoire même qu’il est en train de narrer. Or lorsqu’il rejoint la couche de la première reine celle-ci ne peut supporter la vision hideuse qui se matérialise devant elle, en la personne de ce vénérable Vyasa. Elle fermera les yeux en l’accueillant et son fils naîtra grand, beau et vaillant, mais aveugle de naissance. Une belle illustration de couches successives de réalité et de fiction qui s’entrelacent pour former un tout historique, n’est-il pas ?! Les voici, les lectures qui m’ont soufflée ces idées :
- Un Américain bien tranquille de Graham Greene
- Le jardin des brumes du soir de Tan Twan Eng
- Des nuits au cirque d’Angela Carter
- Quatuor de Vikram Seth
- La possibilité d’un monde, entretiens avec Jean-Luc Nancy
- Les poissons ne ferment pas les yeux d’Erri De Luca
- Confessions d’un jeune romancier d’Umberto Eco
- Mister Fox d’Helen Oyeyemi