Ka Ta, de Céline Minard

 C’est un exercice de style, oui, et de haute volée, ou plutôt martial ! Céline Minard en quelque sorte scelle son engagement à l’écriture ici, quand bien même ce serait dans l’ombre d’un texte sans début ni fin, sans intrigue ni personnages, sans décor, sans couleurs. Il n’est que mouvement dans ce texte, il n’est que membres d’un corps qui s’entraîne à un art martial. Un art qui est martial parce qu’il se construit face à un adversaire invisible, qui n’est peut-être autre que nous-même. Mais cet adversaire on le vaincra par la perfection de son geste, par la minutie de son advenue au moment juste, par la maîtrise sans cesse ajustée dans la solitude de l’homme face à lui-même.

Je ne sais si vous aviez lu le mythique « Le Zen ou l’art chevaleresque du tir à l’arc » du professeur Herrigen. Il est une scène dans ce livre, qui est devenue un classique de l’exploration des Arts martiaux de l’orient par un esprit occidental. Le maître du tir à l’arc invite son disciple, en l’occurrence le professeur Herrigen lui-même, pour lui expliquer au travers d’une démonstration que la maîtrise de cet art ne se gagne pas par la technique, et encore moins par la tricherie qui pousserait tout un chacun à à inventer le procédé permettant d’obtenir le résultat escompté. Non, l’art du tir à l’arc se gagne en ce que l’instant sublime où le tireur lâche sa flèche il n’est lui-même autre que son arc, sa flèche et le cœur de sa cible. En cela il n’a point besoin de voir sa cible, ni son adversaire. Dans sa salle de tir le maître n’allume l’éclairage que d’une partie de la salle, celle où les deux hommes se trouvent. La deuxième moitié de la salle, où se trouve la cible reste dans le noir. Et il fait sa préparation, il commence son geste, bloque sa flèche et respire de tout son être. La flèche infailliblement part. Et le maître s’en va. Le disciple, resté seul dans la salle, allume enfin la partie sombre de la salle. Et contemple la flèche plantée au cœur de la cible.

C’est cela que j’appelle l’Engagement : un dévouement absolu qui se révèle dans l’harmonie total entre les éléments. Être soi-même et sa cible, être son bras et sa flèche, sa main et son sabre, le combattant et l’adversaire. Et pendant tout ce temps n’être concentré sur rien d’autre que sur la manière. La manière qui s’exprime dans le geste, dans les mouvements du corps, dans les mots enfilés sur le fil de la phrase. À n’en pas douter Céline Minard est dans l’Engagement. Je m’étais délecté de la lecture de son « Faillir être flingué », je suis « in awe »* comme dirait la langue anglaise devant ce récit fluet.

scomparo ka taAu fait, Ka Ta, qu’est-ce que c’est ? Un livre fin et au format inhabituel qui compte douze chapitres. Les douze katas communs aux différentes écoles de sabre japonais y sont illustrés. Et puis le livre est encadré par les deux saluts de commencement et de fin d’un kata. Le texte lui-même est empaqueté dans une série d’illustrations de la plasticienne scomparo qui reflètent harmonieusement l’esprit du texte… Mais prenez garde car

« Depuis une éternité, en place et pour un instant, le temps de redresser mon buste et de ramener dans leur position initiale ma main droite sur ma cuisse droite, ma main gauche sur ma cuisse gauche. Pour l’exact accomplissement de mon heure, qui me permettrait, parmi ses mouvements contradictoires, de porter le sabre à la ceinture et de l’en sortir, d’en user, le cas échéant, comme d’une mesure. »

Est-ce le « je » du personnage, ou celui de Céline Minard. Tout cela est même chose, nous répondrait-elle peut-être !

Vous pourrez consulter aussi l’article Kimamori sur son roman « Le grand jeu », encore une fois très stylé !

KA TA
Céline Minard
Illustrations de la plasticienne Scomparo
éd. Rivages, 2014

Illustration : plasticienne Scomparo

* to be in awe : ressentir une admiration mêlée de crainte

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