Bertrand Tavernier, gourmand de tout
Tavernier défend des idées que l’on qualifierait de gauche. Ce qui ne l’empêchait de rester ouvert, tolérant, respectueux des opinions éloignées des siennes. Un exemple : il admirait l’œuvre de Pierre Schoendorffer, et partant, l’homme qui avait réalisé la 317ème section ou Le crabe tambour. Or le cinéaste n’était pas précisément de son « bord ». Raoul Coutard, l’un de ses chefs opérateurs, n’était pas non plus un progressiste ; Tavernier le célèbre comme un grand professionnel, et un compagnon solide.
Certains grands cinéastes ne sortent pas grandis même s’ils ont du génie. Melville est de ceux-là. Lino Ventura qui avait tourné Le deuxième souffle et L’armée des ombres avec lui le surnommait la hyène. Melville et Ventura ne s’adressaient pas la parole sur le plateau. Belmondo avait failli se battre avec son metteur en scène. Melville était insupportable, mais avec le jeune Tavernier, il a été plutôt aimable (généreux serait excessif). Pour le futur auteur de L’horloger de Saint-Paul, il a au moins été un contre-modèle. Il était tyrannique ; Tavernier était d’une souplesse qui n’empêchait pas l’exigence. Il respectait ses comédiens, ses techniciens, au premier rang desquels Pierre-William Glenn, opérateur ayant souvent travaillé avec Truffaut. Les tournages de films occupent une large place dans ces Mémoires interrompus. Le technicien et artiste entre dans les détails, explique ce qu’il fait, en artisan méthodique. Pour qui a envie de faire des films, ces quelques chapitres donnent des clés, montrent que tourner, par exemple, par quarante degrés (c’est le cas pour Coup de torchon) suppose des choix délicats. Mais il est plus facile de les faire quand on s’entoure d’amis fidèles : Noiret, Rochefort, Nathalie Baye et Isabelle Huppert, Guy Marchand, Eddy Mitchell, Didier Bezace, la liste des compagnons est longue. Si notre mémorialiste avait pu continuer d’écrire, nul doute qu’on aurait passé de belles soirées dans un bouchon ou un bistrot, ici ou là, devant une assiette de charcuterie ou un bon bourguignon à l’écouter raconter, sur le papier.
MÉMOIRES INTERROMPUS
Bertrand Tavernier
éd. Actes Sud 2024
Article de Norbert Czarny.
Norbert CZARNY a enseigné les Lettres en collège, il est critique littéraire et écrivain. Ses articles sont disponibles à La Quinzaine littéraire, En attendant Nadeau et L’École des Lettres. Son dernier livre, Mains, fils, ciseaux, éditions Arléa, est paru en 2023.