Une veuve en comprend une autre, la grande Marie Curie...
Très certainement, comme moi, vous êtes allés au cinéma récemment pour voir le film Radioactive, de Marjane Satrapi, qui trace la vie de Marie Curie. En sortant de la salle j'ai eu envie de creuser la question et je me suis plongée dans ce livre publié il y a quelque années. L'écrivaine et journaliste Rosa Montero raconte les Curie, et y entrelace son vécu personnel. Tout comme Marie Curie, elle a perdu son mari, scandaleusement trop tôt. Il était encore jeune, ils s'aimaient. Des récits de deuil d'autrices, nous en avons lu d'autres. Mais ici, la démarche est différente. C'est une biographie, doublée de réflexions personnelles, sur une époque, sur la place de la femme, sur l'art, sur la psychologie humaine. Et comme tout texte qui ne peut se ranger dans une catégorie unique, il interroge la vie humaine dans son sens large : vie et mort unis, face au destin, à la sphère politique et scientifique.
« C'est seulement lors des naissances et des morts que l'on sort du temps : la Terre stoppe sa rotation et les futilités pour lesquelles nous gaspillons nos journées tombent au sol comme des poussières colorées. Quand un enfant vient au monde ou qu'une personne meurt, le présent se fend en deux et vous laisse entrevoir un instant la faille de la vérité : monumentale, ardente et impassible. On ne se sent jamais aussi authentique que lorsqu'on frôle ces frontières biologiques : vous avez clairement conscience d'être en train de vivre quelque chose de très grand. »
Cette citation est extraite de la première page du livre, du premier paragraphe. Mais imaginez un peu l'écho de ces mots lorsqu'ils s'appliquent aux deux scientifiques qui ont découvert l'élément radium, qui ont compris et côtoyé au quotidien la radioactivité. Nous sommes bien dans les sphères de la vie et de la mort, d'autant plus que l'un et l'autre, ainsi que leur fille aînée sont décédés des causes de leur contact rapproché et durable avec cette radioactivité. Bien-sûr, de leur vivant ni Pierre ni Marie n'ont reconnu que leurs recherches les avaient tués, l'un directement, l'autre indirectement. Mais ils étaient si vivants dans leur action scientifique, acharnés, déterminés, inlassables, invincibles. Ils ont sauvé des vies avec leurs révélations. Marie Curie a même participé à la guerre pour sauver les soldats blessés, d'une mort certaine, d'une amputation assurée...
Le combat mené par cette femme polonaise d'origine, est-il bien connu ? Le lynchage qu'elle a subi, au moment même où elle recevait son deuxième prix Nobel, est-il resté dans les mémoires ? La première femme Nobel, la seule femme à avoir un double Nobel scientifique, la première, aussi, à être enterrée au Panthéon... est un être humain épatant. D'où vient-elle, la vie la destinait-elle à un tel avenir. Tout cela Rosa Montero nous le raconte. Avec précision et relief. Elle s'est documentée, elle a lu attentivement toutes les biographies rédigées sur Marie, et sur le couple Curie, dont le récit de leur fille Ève, cette cadette qui ne s'approcha jamais des sphères de prédilection de son père, de sa mère, de sa sœur. Écrivaine, pianiste, elle vivra 102 ans alors que sa mère est décédée à 66 ans et sa sœur à 58...
Je vous l'ai dit, Rosa Montero nous parle également de son histoire, de son Pablo, de ses questionnements, de son égarement suite au départ de son époux. Mais le récit est structuré en chapitres qui rapprochent mille sujets touchant à l'universalité de l'Homme. J'ai été émue par les titres des chapitres : le chant d'une enfant, la sorcière aux chaudrons, les oiseaux aux ventres palpitants, mais je m'y efforce et ainsi de suite. Une histoire se raconte pendant qu'une histoire se vit. Un temps passé vient se caler sur un temps présent. Et au cœur de tout cela le lecteur lit des extraits du journal intime de Marie Curie, rédigé une année durant suite au décès de son mari. Elle lui parle. Elle le consulte, elle lui raconte, elle lui dit aussi ces choses qu'elle n'a pu lui dire de son vivant. Et Rosa Montero de nous dire qu'il en va de même, pour elle, avec ce récit.
Deux éléments, seuls, m'ont gênée dans ma lecture. Certains passages de la traduction française mériteraient d'être édités. Et puis. Je n'ai pas aimé la présence des hashtags dans le récit. Mais c'est ainsi, c'est un choix de l'autrice. Ce sigle et les mots comprimés qui l'accompagnent devaient avoir un sens pour Rosa Montero ; représentaient-ils une urgence, un besoin d'attention de celui qui n'est plus là ?...
Voilà. Si je vous parle de ce récit c'est qu'il m'a tendrement envoûtée malgré tout. J'ai appris bien des choses. J'ai eu confirmation, infirmation ou précision de faits rencontrés dans le film que je venais de voir. Et j'ai pu faire une promenade littéraire intelligente, et très humaine.
L’IDÉE RIDICULE DE NE PLUS JAMAIS TE VOIR
Rosa Montero
Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse
éditions Métailié 2015 (v.o. 2013)
Les images présentées nous montrent Pierre et Marie Curie, jeunes, puis Marie Curie, vieillie (irradiée) avant l'heure.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.
Comments
Belle analyse d’un livre singulier et attachant.
Je me permets d’y ajouter cette citation que je trouve frappante :
« L’art est une blessure qui devient lumière, disait Georges Braque. Nous avons besoin de cette lumière, pas seulement nous qui écrivons ou peignons ou composons de la musique, mais également nous qui lisons et contemplons des tableaux et écoutons un concert. Nous avons tous besoin de beauté pour que la vie soit supportable. Fernando Pessoa l’a très bien exprimé : « La littérature, comme toute forme d’art, est l’aveu que la vie ne suffit pas. » Elle ne suffit pas, non. C’est pour ça que je suis en train d’écrire ce livre. C’est pour ça que vous êtes en train de le lire. »