Un voyage littéraire en compagnie de...
A chaque fois que je lis un texte de Salim Bachi je me dis que je vais me plonger dans tous ses écrits, parus avant, et aussi ceux qui paraîtront après celui qui vient de m'accompagner. Cela vient probablement du fait que j'aime les narrateurs humbles et simples dans leur dire, profonds et perspicaces dans leur analyse, sages et doux dans leur vision des hommes et des choses. Ce n'est pas ce que dit l'auteur qui compte dans ces cas, mais plutôt sa manière de le dire. La forme, le phrasé, transforment ce dire, le rendent accessibles et énigmatiques à la fois.
Dès la première page de ce récit le narrateur, Salim Bachi, nous dit qu'il va nous embarquer dans un court voyage littéraire en compagnie du poète antique Ovide pour nous parler d'un sentiment douloureux, l'exil. Le voyage littéraire en question est plus vaste en réalité. Et le sentiment douloureux multiple. C'est beau et émouvant.
Nous sommes à Rome, sous le règne d'Auguste, puis nous sommes à Tomis, où Ovide est exilé. Nous nous promenons à Rome, à Lisbonne, à Grenade et en bien d'autres villes. Parfois nous sommes dans l'hier, portés par les mots d'Ovide, et parfois nous sommes dans l'aujourd'hui, aux côtés de Salim Bachi. Mais Fernando Pessoa, James Joyce, Alfred Döblin, et bien d'autres écrivains, chacun frappé d'un exil qui lui était propre jalonnent le récit. L'exilé n'est pas seul. L'exilé, c'est tout le monde peut-être. Les seuls êtres qui n'étaient ni exilés ni seuls étaient peut-être Adam et Eve, me suis-je dit lorsque j'avais fini le récit de Salim Bachi. Car il est question d'amour ici. Amour conjugal, désamour conjugal, séparations sans réparations. L'exil est une chose qui vibre dans le cœur. Et les cœurs sont frappés par la perte d'une patrie... la femme aimée étant souvent la plus solide patrie qui soit.
Bien entendu ce livre est aussi un traité contemporain, un essai actuel, qui se penche sur les histoires du passé pour mieux saisir, mieux comprendre les histoires du présent. Car toutes les histoires humaines sont des mystères. On n'a jamais su pourquoi Ovide avait été exilé. Il a déplu à Auguste, il aurait vu et su quelque chose qu'il n'aurait jamais dû voir et savoir. On pense aussi qu'il n'était pas convaincu de la politique d'Auguste. Mais ce ne sont là que des suppositions. Tout comme dans notre ère, on pense et l'on juge. Salim Bachi préfère remonter loin dans le temps pour se faire une opinion !
« Adam et Eve, chassés du paradis, sont les premiers exilés du monde qui en comptera tant. S'ils donnent naissance à une nombreuse descendance, ils garderont toujours la nostalgie de leur éden. Celui-ci et celle-là, la perte et le paradis, sont inscrits dans nos gènes et nous hantent au moindre déplacement, au moindre changement de lieu qui nous éloigne de nos proches, de nos amis. Ils me paraissent monstrueux - et d'ailleurs ils le sont - les hommes qui n'ont pas, ancrés en eux, le sentiment de leur étrangeté sur la terre. Encore plus monstrueux, les descendants d'immigrés si bien assimilés qu'ils cherchent à déloger les autres d'une terre qui n'appartient à personne. »
Pour nous dire ce qu'il a à nous dire, le narrateur nous raconte son histoire, sa vie, par bribes. Son départ d'Algérie, adolescent, son retour là-bas, son arrivée en France, plus tard, et puis son arrivée et son départ dans ces autres villes européennes. Quand il est à Lisbonne il est multiple, aux côtés des multiples avatars de Fernando Pessoa. Et quant il est à Grenade, il marche encore dans les rues. Or quand il est à Rome, à la Villa Médicis, on le trouve assez immobile, mais là aussi il nous emporte en voyage, à Trieste par exemple aux côtés de James Joyce. L'auteur devient tous ces autres écrivains. Ces hommes du passé nous font. Les histoires du passé nous enveloppent et nous enrichissent, ou nous hantent et nous dénudent. Peu importe, si l'on accepte que l'homme est fait de nuances, de mystères, et surtout d'émotion.
« C'est bien l'un des drames de ma vie que cette perte de repères que je tente de réparer chaque jour par l'écriture comme s'il me fallait retrouver, grâce aux mots, un chemin dans cette forêt dense, j'allais dire obscure, que constitue l'existence. Il faut être si peu au fait de la géographie du monde pour se tailler un empire dans l'imaginaire. Balzac est le premier qui a compris cela et l'a mis en œuvre. »
Les illustrations présentées sont :
- Sculpture de Kostas Minaidis,
- Illustration de Rui Pimentel
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.