Les livres de Pico Iyer sont tant indescriptibles qu’inclassables, et plus le temps passe plus ils sont difficiles à inclure dans un genre. C’est peut-être l’identité-même de l’auteur qui fait cela. Ses parents sont d’origine indienne, il a grandi en Angleterre, évolué ensuite aux États-Unis puis il a épousé une japonaise et il séjourne depuis longtemps maintenant entre le Japon et les États-Unis. Il est donc multi-culturel ; et puis à cela s’ajoute le fait qu’il a énormément voyagé de tous temps, dans tous les continents géographiques et livresques. Il écrit donc des choses qui sont tant des essais que des récits de voyage, tant des contes initiatiques que des romans, des promenades littéraires et intérieures, documentées et travaillées à l’extérieur. Il écrit en quelque sorte le voyage de l’homme et nous transmet la saveur du proverbe chinois « le vrai voyageur ne sait pas où il va »…
Je vous avais parlé de son « The Lady and The Monk », livre fabuleux et peut-être intraduisible. Aujourd’hui j’ai cheminé à ses côtés dans « The Man within My Head ». Il s’essaie, dans le sens des « tentatives » de Montaigne, de se dire, de se dévoiler, en cherchant à démasquer une vérité indicible, il s’essaie donc à chercher sa parenté ! Son père spirituel est Graham Greene, depuis longtemps déjà il ne s’en cache pas. Mais qui était Graham Greene, qu’est-il, plus justement, et pourquoi le sentier de vie parcourue par cet homme vient sans cesse résonner dans ses propres pas ? Et son père biologique, à Pico Iyer, dans tout cela, que n’a-t-il pas été pour lui, que ne lui a-t-il pas transmis – voire parfaitement transmis – qu’il retrouve chez l’écrivain voyageur et agent des renseignements généraux britanniques en quête d’un absolu en lequel il n’a pas foi ?
Il n’est aucune réponse dans ce livre. Simplement des éclairages, des lumières qui jaillissent et des feux, incendies ravageurs qui viennent tout dévaster. Graham Greene n’a jamais su s’engager, n’a jamais pu avoir le regard candide de celui qui se lance dans une aventure pour le bien de l’humanité car ce n’est là qu’illusion ; et pourtant… Et pourtant qui plus que lui loue l’engagement, la justice, l’humanité profonde et l’amour. Du Mexique au Sri Lanka, des États-Unis à la Grande Bretagne, de la simplicité à la complexité, du charisme à l’érudition, du sens du devoir à la force de rébellion nous allons avec Pico Iyer car tout cela est chez « l’esprit qui m’habite », ma traduction personnelle et subjective de « The Man Within My Head ».
J’ai envie d’inscrire ici une citation de Georges Perec, tirée de Ellis Island, qui est mise en exergue dans le livre que je suis en train de lire actuellement (« Voyageur malgré lui » de Minh Tran Huy) :
« Quelque part, je suis étranger par rapport à quelque chose de moi-même ; quelque part, je suis « différent », mais non pas différent des autres, différent des « miens » : je ne parle pas la langue que mes parents parlèrent, je ne partage aucun des souvenirs qu’ils purent avoir, quelque chose qui était à eux, qui faisait qu’ils étaient eux, leur histoire, leur culture, leur espoir, ne m’a pas été transmis. »
THE MAN WITHIN MY HEAD
Pico Iyer
éd. Vintage Books, 2012