Nous avons là un livre sublime qui avec simplicité et poésie nous éclaire sur les prémisses de ce monde dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. C’est ainsi que tout a commencé, me suis-je dit, régulièrement, alors que j’étais pénétrée par l’histoire contée. C’est une histoire vraie, et qui traite de l’Entreprise, des technologies de l’information, du monde financier, des capitaux investisseurs.
De jeunes diplômés d’une école d’ingénieurs se lancent dans la création d’une « start-up ».
Ils sont gonflés d’idéaux, brillants dans leur domaine, dotés d’une énergie Cervantesque. Qu’adviendra-t-il de leur bébé nouveau-né, de cette société, de ces produits qu’ils vont créer, lorsqu’ils se mettront à surfer sur la vague des grands requins V.C. (« Venture Capitalists » ou capitaux investisseurs) ? Ils ne le savent pas encore. Mais nous, l’imaginons bien vite ! Eh oui, le livre se termine sur un « je ne comprends pas » du narrateur, qui est un des fondateurs de l’entreprise. Le lecteur, lui, a très bien compris. Le lecteur pourra même se dire » je comprends maintenant pourquoi je ne comprends pas mon monde », cette ère du début du XXème siècle qui vogue dans un brouillard de monstres invisibles et laisse le premier rôle à d’autres monstres bien trop visibles mais incompréhensibles… Mais la morale de l’histoire est belle car on comprend assez vite qu’une seule chose compte : l’aventure humaine, et les amitiés qui l’embellissent, rendent les moments éprouvants dignes d’être vécus.
Le livre se lit bien, et avec délice, car quand bien même il nous relaterait dans le détail les enjeux d’une entreprise à la pointe de la technologie et confrontée aux problématiques financières propres à toute « start-up », ce sont les émotions et l’imagination qui portent le récit. Les difficultés insurmontables sont balayées par le grisant du défi à relever, la fatigue est surmontée par cette solidarité sans faille des associés fondateurs. L’impossible devient un jeu d’enfant, l’éprouvant se transforme en une sorte de promenade en forêt nourrissant la curiosité et le désir d’apprendre, d’avancer, de faire de belles choses. Mais ce qui m’a le plus surpris est la modestie et l’humilité avec lesquelles le narrateur et écrivain parle de son feu entreprise. Pour l’avoir connue je peux dire que la société SLP Infoware fut un éditeur de logiciel hors du commun, proposant des solutions si avant-gardistes, si géniales que ce sont les opérateurs de télécommunication mobile les plus en vogue, les plus pertinents dans leur domaine, situés aux quatre coins du monde qui faisaient appel à cette toute petite société. Aucun concurrent n’arrivait à la cheville de SLP, ni en termes de solutions proposées ni par la méthodologie développée. A lire Alain Amariglio nous pourrions croire qu’il s’est agi d’une start-up comme une autre. Or non, les fondateurs de cette entreprise étaient tout aussi singuliers qu’un Steve Jobs, faisaient preuve du même génie, du même entrain et du même sang froid, mais couronnaient cela d’une humanité que nul éditeur de logiciel n’aura jamais connue ni pratiquée.
Alors oui, je conseille à tous ceux qui sont en phase de créer une start-up de lire ce livre, à tous ceux qui sont des créateurs d’entreprise aussi. Mais je conseille ce livre à tous ceux qui n’ont pas idée de ce que cela veut dire et qui aimeraient mieux apprécier l’absurdité de notre monde ! Notre monde est portée et pensée par la sphère financière. La politique, l’économie n’ont plus aucun rôle à jouer face au pouvoir de l’argent, virtuel… Pourquoi, comment en sommes-nous arrivés là ? Ce livre offre des réponses, ou tout du moins un éclairage bien instructif. Comment et pourquoi une entreprise qui a des idées innovantes, a un savoir-faire utile, réunit des êtres humains aux compétences éprouvées et au dynamisme sans limites peut mener… nulle part ?!
Mais ce livre m’a offert quelque chose de plus grand encore. Car j’ai lu bien des livres ces derniers mois, dont bon nombre issus de la rentrée littéraire récente, qui s’interrogent sur le moyen, sur la possibilité de sortir d’un système qui se mord la queue, et de se ré-inventer. Alain Amariglio, auteur de ce livre est un exemple vivant et convaincant tant de cette possibilité que de la valeur d’une telle réalisation pour notre monde actuel. De jeune ingénieur sérieux il se transforme en jeune fondateur d’entreprise. Il mène une aventure chargée de réussite et de déceptions. Il sort du monde informatique, de la logique guidée par les capitaux investisseurs. Et il se ré-invente : il devient instituteur dans le primaire. Il nous livre alors un récit remarquable de cette nouvelle aventure dans un livre dont je vous ai parlé il y a quelque temps : « Dans la classe ». La contribution d’Alain Amariglio est déjà bien grande à notre petite humanité qui n’en méritait pas tant. Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin. Il se ré-invente encore en devenant écrivain. Fiction réalité avec ces deux livres mais aussi fiction pure avec des romans policiers. Quelle sera la prochaine étape, le prochain récit délicieux qu’il nous offrira ? Je ne le sais mais m’assurerai de ne pas en perdre une miette… et vous invite à en faire de même. Ne dit-on pas que la vie vaut la peine d’être vécue ; cela n’est-il pas encore plus vrai lorsque l’on peut vivre plusieurs vies en une seule ?
Laissons-nous donc imprégner du bon sens d’Alain Amariglio en lisant ses écrits…
Je termine tout naturellement cet article par un extrait de « Il était une fois une start-up ». J’ai longuement hésité car il en est des passages savoureux que j’aurais eu plaisir à partager avec vous ici. Mais j’ai décidé d’aller à l’essentiel :
« Tout allait bien. Mais les investisseurs sont une espèce à part.
Leur apporte-t-on la pêche du jour, ils regardent par la fenêtre pour voir si, demain, il fera beau. Si on leur raconte la prise de ce bel espadon, ils cherchent à savoir comment on s’y est pris, si on a eu de la chance et, dans le cas contraire, en concluent qu’on aurait dû en prendre davantage. Quel qu’il soit, un résultat ne saurait les satisfaire en soi, n’est jamais pris pour tel, mais comme l’indice d’une quête sans fin, l’indicateur de nouveaux objectifs.
C’est le métier qui veut ça. Eux aussi sont tenus par des engagements, financés par une pyramide d’investisseurs, dans laquelle chaque étage a ses objectifs, son calendrier, ses engagements, et son coût. Dès lors, il ne s’agit pas d’optimiser, mais de maximiser les revenus et minimiser les délais. Quand la planète Finance veut du 10%, le système ne peut connaître ni trêve ni répit, ou s’abandonner à la lenteur émolliente des cycles naturels. Les plantes doivent pousser plus vite, les poussins devenir poulets en 40 jours, les saumons, astucieusement munis d’un gène d’anguille, grossir à vue, et, surtout, les marges doivent augmenter. Au fond, l’ultime mono-culture, c’est celle de l’argent. »
Il ÉTAIT UNE FOIS UNE START-UP
Alain Amariglio
Éditions de La Différence, 2016
Les illustrions présentées sont de (par ordre d’apparition dans l’article) :
– Henri Edmond Delacroix
– Hilde Wilms
– Gérard Clisson
– Fred Weiser