« Aux enseignants du monde entier, humains ou plus qu'humains »
Le Docteur David G. Haskell, biologiste et professeur d'université nous revient avec un troisième livre, aussi délicieux que les précédents. Alors que sa dernière publication nous transportait dans les chants et les musiques des arbres, ici il nous invite à mieux connaître ces grands amis essentiels, cette fois en leur prêtant le nez plutôt que l'oreille. Depuis longtemps il mène une quête - que je nommerais la sagesse de vivre - auprès des arbres, et naturellement, il nous dit « Entrez dans la forêt, humez l'écorce et la sève : c'est le monde entier que vous respirez ». Eh oui, ce livre merveilleux, très beau par ses illustrations et sa poésie, nous initie à l'écoute du monde, en se penchant sur quelques arbres.
Le récit se compose de treize chapitres. Chacun, à quelques exceptions près, s'intéresse à un arbre en particulier (le marronnier d'Inde, le hêtre d'Antarctique..).
Littérature non-fiction, ces essais successifs transportent le lecteur dans une poésie, un imaginaire, mais aussi un lieu, un contexte historique, biologique ; en somme une histoire du vivant. Le treizième chapitre porte sur le parfum des livres (Bibliothèques du monde entier), tous arbres et composants confondus ! Le tout se termine par un dernier opus : six exercices pratiques pour partir à l'aventure, celle de humer les arbres à notre tour.
Mais ce n'est pas tout. Le livre se lit aussi par le visuel : les illustrations de Valentine Plessy nous enchantent littéralement, tout en nous instruisant. ET. Une compositrice a accompagné le projet. Nous pouvons écouter les treize compositions pour violon de Katherine Lehman sur soundcloud ou en audiolivre : elles ont été écrites pour chacun des essais, par une femme musicienne qui nous dit « J'ai passé des milliers d'heures à tenir contre moi, sous l'aspect d'un violon, l'érable et l'épicéa, l'ébène et le palissandre. »
Le livre nous emmène dans un double voyage : géographique et temporelle. Les têtes de chapitre, en effet, nous transmettent le nom de l'arbre que nous allons apprendre à mieux connaître, la région où l'auteur cueille leur parfum, et l'époque dans laquelle son histoire se pose. Le Ginko nous transporte dans le Tennessee en 1930, Le Laurier à Paris, en 1980, L'Huile d'olive dans les Collines de la Méditerranée orientale vers 6000 avant J.-C.
Au cœur de chaque chapitre nous suivons aussi l'évolution de l'arbre présenté. On apprendra par exemple que « Avant les périodes glaciaires et notre époque actuelle relativement fraîche et sèche, les forêts de lauriers ont poussé pendant des millions d'années sous un climat doux et humide sur une grande partie de ce qui est aujourd'hui l'Eurasie et l'Afrique arides. » Cette information a son importance, parce que le parfum que dégagent les feuilles de laurier ont, à l'origine, pour vocation de se défendre des insectes nombreux qu'ils côtoyaient.. L'écrivain étant un scientifique, en quelques phrases simples, il nous permet de comprendre l'action des substances chimiques fabriquées et stockées par la plante...
C'est merveilleux que la poésie et la biologie se tiennent la main. C'est exquis que l'histoire et la géographie viennent nous raconter un arbre. Et c'est enchanteur qu'il sachent valoriser l'univers propre à tout être végétal par son parfum !
Voyez-vous, les chapitres se terminent toujours par un paragraphe ou une phrase qui résume le tout dans une formule délicieusement parfumée. En concluant sur le laurier David G. Haskell nous dira « Je respire l'odeur réconfortante d'un ragoût infusé et ravive la mémoire humaine et écologique », alors qu'il avait fermé le chapitre sur le chêne blanc ainsi : « Debout au bar, j'inhale lentement les arômes de mon verre de whisky. Quelle odeur réconfortante ! Comme le bois de chauffage empilé ou le vin rouge vieilli en fût, ces parfums évoquent la sécurité du foyer. Nous voilà fin prêts à affronter l'hiver, réchauffés par le chêne. »
Rien n'est séparé de rien et nous ne parviendrons à saisir la grandeur des arbres qu'en réalisant à quel point notre quotidien se saurait se passer d'eux. Chaque geste, chaque idée ou émotion prend sa source dans cette mémoire vivante végétale. Et rien n'est plus enclin à faire vibrer une sensation chez nous, qui elle-même fait remonter à la surface un moment vécu dans un lointain passé, que les parfums. Quelle génialissime idée de nous chanter la vie des arbres par leur magie invisible, celle des odeurs. Ce livre va vous enchanter, je n'en doute pas.
LE PARFUM DES ARBRES
David G. Haskell
Illustrations Valentine Plessy
Bande son (composition et interprétation) Katherine Lehman
Traduit de l'anglais par Eva Roques
éd. Flammarion 2022 (v.o. 2021)
Les illustrations présentées dans l'article nous montrent :
- Le marronnier d'Inde,
- Le hêtre d'Antarctique.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.