« Magie de cheminer dans le passage entre deux mondes »
Peut-on partager une chose indicible et indescriptible ? Cela dépend probablement de la force avec laquelle on s'est laissé traverser et pénétrer par l'indicible en question. Pour habiter l'aube il faut accepter d'être habité par l'aube, c'est à dire par un éphémère passager qui sans cesse se renouvelle et qui sans cesse s'évapore. C'est cela que Rémy Oughiri nous offre de vivre, d'imaginer, entre les lignes de ce récit. Promenade littéraire, pensées, parcours dans un Paris à peine réveillé, capture d'instants, de lumières et de couleurs... voilà toutes les choses que l'on peut trouver dans ce livre. C'est un délice et un bonheur, un ami cher que l'on garde près de soi.
Parfois on choisit un livre en se basant sur les présentations et critiques qui en sont faites, et puis on est déçu. Dans le cas présent, j'avais accepté d'avance, avant d'avoir le récit entre les mains, avant de l'avoir abordé, que je ne pourrais y trouver ce que j'avais imaginé. Mes attentes étaient trop élevées, trop floues, et surtout très indéfinies. Alors une fois qu'il est arrivé chez moi, j'ai mis du temps avant de m'en approcher. Pourquoi, d'ailleurs, avais-je eu envie de le lire ?... Des promenades littéraires il s'en écrit à la pelle. Des promenades dans Paris aussi. Mais il a suffi que je me rende au rendez-vous pour être pleinement et entièrement absorbée. Je ne savais ce que je venais y chercher, et j'y ai trouvé un moi-même oublié, un moi-même tant et si bien assimilé qu'il n'était plus présent à mon esprit. Ce moi habitante de l'aube. Ce moi qui chaque jour se ressource parce que chaque matin il laisse entrer en lui ce moment magique... Oui, l'aube m'habite depuis toujours, et j'en ai conscience depuis une petite quinzaine d'années. Jamais je n'aurais pu imaginer qu'un auteur sache capturer et rendre cette vie invisible qui m'émeut. C'est cela que Rémy Oudghiri a fait, et ô comme il sait bien le faire !
Étrangement le livre commence par la démonstration inverse à celle qu'il désire faire. Il nous parle d'un auteur américain qui invite à devenir lève-tôt. « Le titre complet ressemblait à un slogan vantant les mérites d'une nouvelle boisson : Miracle Morning. Offres-vous un supplément de vie ! ».
Et ce premier chapitre se termine par une phrase qui introduit enfin le projet de l'écrivain épris d'aube :
« L'aube, René Char l'écrit dans Les Matinaux, est promise aux indisciplinés : elle n'appartient à personne. C'est nous qui appartenons au monde, et si se lever tôt possède une vertu, c'est celle de nous le faire sentir. »
Mais avant de s'engager dans ce projet monumental et impossible, il nous explique pourquoi il s'est lancé dans cette entreprise :
« Jusqu'à présent je me contentais de vivre l'aube, d'en habiter la splendeur, sans me soucier de m'en faire le témoin, encore moins le porte-parole. Je connaissais son pouvoir magique et je vivais heureux de faire partie de ceux qui savaient. Ayant toujours soigneusement évité les prosélytes, je ne m'étais jamais imaginé dans la peau d'un des leurs, qui éprouvaient le besoin de convaincre les autres de la justesse de leur façon de vivre. Il m'importait d'être à mon rendez-vous de cinq heures, il m'indifférait que quelq'un le sût. Il me suffisait de savoir que des poètes et des écrivains - Rimbaud, Proust, Valéry, Char, Camus, Giono, Jacottet ou Quignard, tant d'autres avant et après eux - avaient célébré la magie de l'aube pour me sentir en belle et noble compagnie. La lecture d'un seul livre m'avait suffi pour me donner envie de répliquer. Mais plutôt que de m'engager dans une réfutation avec des arguments rationnels, je pensai que la meilleure réponse résidait dans le partage. Je pensai que les mots rendraient justice à cette splendeur que l'aube octroyait chaque jour à qui savait l'attendre, et je décidai d'aller à sa rencontre avec un regard neuf, de guetter sa venue au plus profond de la nuit, de renouer avec les marches matinales qui ont toujours été un de mes plus grands plaisirs et de noter sur des carnets mes émerveillements du petit jour. »
La suite du récit est à la hauteur de la promesse. Mais l'auteur va plus loin. Non seulement il partage avec nous ses promenades matinales et tout ce qui s'y trouve, mais il nous offre aussi de vivre l'aube en musique, en oeuvre cinématographique, et bien entendu en citations de poètes dans l'âme. Tous les arts se tiennent la main pour tendre vers l'émotion aux mille visages qui ne peut être saisie que le temps d'un soupir béat.
Le hasard a voulu que je me fonde dans ce texte durant les jours de confinement que nous vivons tous. Grâce à l'autorisation de l'éditeur Arlé j'ai pu partager avec une lecture audio de deux ou trois pages sublimes de ce texte, que vous pourrez entendre en cliquant ici.
HABITER L'AUBE
ou apprendre à vivre dans la splendeur
Rémy Oudghiri
éditions Arléa 2019
Les illustrations présentées sont :
- Photographie "Zazen de l'aube" de Centre-assise,
- Peinture de Françoise Bongard.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.
Comments
OUI , YASSI ,vous m’avez mise en appétit pour ce livre , vous écouter en lire quelques pages , c’est comme le feuilleter en librairie pour m’assurer que j’ ai bien envie de le lire en entier!!! J’appartiens aux lève-tôt…Je me sens déjà en empathie !