Difficile d’écrire sur le Japon, délicat d’écrire le Japon. Pour un occidental surtout ! Nicolas Bouvier y parvient comme nul autre n’aurait su faire. Délicatesse et humilité imbibent les mots cachés de ce récit succulent. Un roman ne nous captiverait pas plus.
J’avoue que j’ai été choquée par le premier chapitre. Pourquoi consacrer un long chapitre à la restitution de l’histoire de ce pays, de cet univers énigmatique, en bon occidental, sur le tracé d’une ligne du temps chronologique et linéaire. En Asie on dit l’Histoire selon les règnes, les grands cycles qui se succèdent… Mais j’ai été gagnée par la candeur de Nicolas Bouvier, et sa grande humilité. Eh oui, il sait saisir le Temps japonais mais il n’en reste pas moins à sa place : un Suisse qui aime entendre la polyphonie du monde !
Au travers de sa plume nous rencontrons un pays, un peuple, une terre, un état d’esprit, un mode de vive, tous insaisissables ! L’écrivain voyageur ne fait que décrire de petites choses, très insignifiantes, mais toujours insérées dans un contexte global ingénu. Et à chaque nouvelle boucle Bouvier nous rapproche un peu plus avant du cœur de cette culture.
Je vous laisse savourer un bref extrait – le livre regorge de tels passages magiques :
« Quand le moine-poète Basho est arrivé ici il y a trois cents ans et qu’il a vu cette baie alors sauvage, ces douzaines d’îles chevelues sur le miroir de la mer avec peut-être un peu de brume pour adoucir ce que cet horizon marin aurait eu d’intolérablement grand, il y a été si saisi que son poème de l’étape s’est réduit à :
« Matsushima yah !
Matsuskima yah !
Matsushima yak !
Cela se chante un peu sur un demi-ton d’écart et sans doute ne pouvait-on dire mieux : il y a des cas où la répétition s’impose, et l’Asiatique le comprend mieux que nous. Ce cri, l’écho d’un cri, puis l’écho d’un écho qui s’abolit lui-même, et l’on ne sait si c’est l’homme ou le paysage qui a disparu. Et c’est très beau cette leçon d’impermanence que ce pèlerin murmure pour lui-même sur un front de mer (…). »
Oui, tout ce que véhicule la plume de Nicolas Bouvier est très beau aussi. Son écrit est un cri imperceptible, l’écho de ce cri et l’ensemble mélodieux qui nous parvient de sa composition pleine de sensibilité.
Mais au travers des anecdotes, des commentaires et même de poèmes et haïkus qu’il nous transmet il nous en dit long sur la société japonaise : sa part d’ombre et sa part de lumière.
Chronique japonaise
Nicolas Bouvier
éd. Payot & Rivages, 1989
Si vous avez aimé ce livre je vous recommande aussi « Sarinagara » de Philippe Forest.