« Ce fameux jour où il croyait devenir un homme »
Nous aimons lire les États-Unis en littérature ; nous aimons parcourir le territoire nord-américain mis en scène dans l'art cinématographique. Utah, le recueil de nouvelles de Nicolas Rey, tout juste paru en librairie, conjugue les deux arts et nous invite à plonger dans les états de l'Amérique profonde. D'une écriture ciselée il nous projette dans dix films grandeur nature nés sous sa plume. L'étoffe des héros et héroïnes mis en lettres dans Utah est risible, et remarquable, à la manière d'un Tarentino que l'on découvre avec une fascination emprunte de frayeur, et vers lequel on revient année après année, pour le déguster sourire enjoué aux lèvres.
Le recueil se compose de dix nouvelles. Chacune prend pour décor un lieu différent, un État en particulier tel le Colorado ou le Utah, ou une zone urbaine, par exemple en périphérie de Las Vegas. Chacune pose son histoire dans une époque différente, parfois actuelle et parfois remontant aux origines des États-Unis. L'ensemble trouve son harmonie dans la puissance des images évoquées, dans la mise en relief des personnages et leur fatal advenir. Les paysages résonnent alors avec la substance des Hommes en action, si parfaitement conduits par leurs instincts. Le lecteur est happé, tout en soupçonnant la finalité, redoutable, du mouvement dans lequel il est pris, au côté des protagonistes. Tout ce temps une bande son vibre dans les nouvelles, qu'elle se dégage d'un jukebox dans un bar ou du sifflotement des hommes qui mènent un troupeau de vaches par-delà les vastes plateaux.
La structure des nouvelles, quant à elle, relève de cet art propre que je nommerai la boucle bouclée. La toute première vision rejoint en effet souvent la toute dernière, comme par magie. C'est un peu comme si on percevait un détail, vu du ciel, que l'on s'en approchait, que l'on s'y intéressait dans son moindre détail, puis en délicat oiseau libre de tout jugement, on reprenait son vol en jetant un dernier regard sur ce petit homme (ou femme) de nouveau fondu dans le paysage, un point de détail, vu du ciel .. Cette distanciation et la hauteur de vision offerte sont apaisantes, parce que le parcours suivi nous aura secoué. Mais pour ma part, ce procédé aura amplifié plus encore l'émotion provoquée par le déroulement de l'histoire narrée.
Nicolas Rey est un jeune écrivain corse et habitant de l'île de beauté. Ce recueil de nouvelles est son premier livre publié. Je porte ces précisions parce que vous allez voir, en le lisant, que l'on pourrait se demander s'il ne s'agit pas d'un auteur américain. Eh oui, tout comme dans les écrits anglo-saxons, un personnage sera souvent présenté par trois petites touches : on nous décrit ses bottes santiags, son maillot de corps et sa démarche et nous l'avons reconnu. Une jeune femme récolte le coton et rêve d'une certaine robe bleue et cela suffit pour que le lecteur la hume. D'autres fois une main, un bras, une musculature robuste ou une moue sur le visage auront fait tomber le voile sur la teneur de l'homme ou de la femme qui se révèle à nous, que nous allons voir vivre, une dizaine ou une vingtaine de pages durant. La présence d'un corbeau et les volutes de la fumée d'une cigarette auront tôt fait de nous dépeindre une atmosphère. Oui, les nouvelles ne sont pas très longues .. puisque la force d'évocation de chaque image en dit long sur une histoire, s'insérant dans l'histoire d'un pays, aux dimensions calquées sur une démence joviale.
Devrais-je vous parler des nouvelles en question ? De cette Abigaïl qui passe une soirée avec ses amies à l'Eugene's Pub, de cette Paula à la passion amoureuse vorace, ou encore du cheval Saddy Boy qui relie le Rio Grande au Missouri .. et pourquoi pas de Marlon qui allume l'ordinateur, se sert un café, avant d'ouvrir les portes du Desert Burger. Non. Je vous invite à savourer ces nouvelles et à vous laisser transporter dans un ailleurs époustouflant : celui d'une écriture qui surprend et épate, d'une terre invisible et indicible qui célèbre la naissance d'un écrivain.
UTAH,
Nicolas Rey
éd. Omara, 2021
Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Photographie de l'auteur par Jérôme Ferrari,
- Photographie Canyonlands dans le Utah par Amar Guillen,
- Portrait de l'Amérique des supermen ordinaires par Dorothy Lange.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.