La pièce de l'érable, entre ciel et terre...
Qui n'a pas lu Muriel Barbery, ou tout du moins L'élégance du hérisson ?! Ce roman peu médiatisé avait eu un tel succès auprès des lecteurs qu'il a donné lieu à 30 réimpressions dès les deux premières années de sa sortie en librairie. Il a été traduit en 32 langues et a été adapté au cinéma. Et voyez-vous, après ce livre l'écrivaine est partie vivre au Japon, à Kyoto, une longue année durant. Par la suite elle a choisi de mener une vie loin de la pression médiatique. C'est en Touraine qu'elle est installée désormais.
Elle a publié deux autres romans depuis, mais j'ai trouvé qu'Une rose seule était son grand roman faisant suite à L'élégance du hérisson. Il est simplement sublime. Et si, comme moi, vous êtes fascinés par l'art de vivre et l'insaisissable éphémère de l'âme japonaise, vous serez heureux dans ce livre, à chaque page, à chaque mot. Poétique, initiatique, tourné vers la nature, le récit est au summum de ce qu'un non-japonais peut écrire comme récit japonais !
Le roman s'ouvre sur l'arrivée d'une jeune femme française au Japon. Elle est venue recueillir le testament de son père, Japonais. Rose n'a pas connu son père, ne l'a jamais rencontré, n'est jamais venu au Japon. Elle a grandi avec sa mère, dépressive, et sa grand-mère, qui l'a élevée. Botaniste, vive, intelligente, elle est tranchante avec les autres, peu en paix avec elle-même. Un ami de toujours, et collaborateur de son père, l'accueille, et suit ses indications à la lettre : cet homme belge, installé au Japon depuis des décennies, va promener la jeune femme et lui faire visiter les temples zen de Kyoto. Chaque jour une visite. Rose se prête au jeu et se soumet à l'itinéraire imposé. Elle se laissera imprégner par ces lieux singuliers, et accueillir leur parole profonde. Progressivement elle va se transformer.
Moi qui aime les contes et légendes ait été enchantée. Parce que, voyez-vous, le récit est structuré sous une forme simple : chaque chapitre commence par une légende, narrée en un paragraphe. À la page suivante on accompagne Rose dans sa journée, et la saveur, la substance, l'enseignement du conte qui ouvrait le chapitre vont se faire jour dans son parcours. La petite histoire du début, en elle-même, vaut le détour. Elle est souvent issue de récits de vies de poètes, sages ou autre maîtres renommés du Japon. Deux d'entre elles sont des histoires de thé. Les amateurs de thé, épris par la philosophie de vie qu'elle renferme seront, comme moi, subjugués.
Mais le roman lui-même est fascinant par la vision qu'il nous offre de la nature. Chaque plante, fleur, arbre, tige, pétale est un personnage tangible du livre. Les éléments de la nature nous parlent, tout comme le minéral, les pierres, les jardins de sable. Et bien-sûr, Rose qui est botaniste, sait les écouter, sait accueillir caresser souffle et embrasser leur élan vital. La pièce principale de la maison de son père, est un patio où se trouve un érable japonais, s'étirant haut vers le ciel, et ancré solidement en terre par ses racines. Puisque nous sommes dans un roman de passage d'un état à un autre, l'érable se fait pont, et permet à la jeune femme d'accéder à elle-même, à se libérer de ce qui l'entrave : son passé émotivement misérable. Mais la structure fascinante du roman va plus loin dans son travail de concentration. L'ensemble du récit, du roman, du chemin parcouru par Rose est contenu dans un haïku dont les vers forment les parties consécutives d'Une rose seule.
Ce texte est bien plus qu'un roman. C'est un livre précieux, à garder chez soi, à consulter, à parcourir régulièrement, tout comme un recueil de poésie ou une anthologie de contes et légendes. Et il a suscité mon admiration car l'écrivaine française ne tente pas de faire un roman japonais. Elle a épousé et intériorisé le Japon. Elle a livré son roman d'occidentale, peuplé d'européens qui ont su entrapercevoir et aimer le Do, la voie qui contient le secret la vie, son sentier d'élévation et de réalisation de soi. C'est drôle ; les dialogues sont succulents et les instants de vie narrés tant simples qu'amples. Parce que, qui a essuyé la souffrance d'une perte désire choyer le vivre...
UNE ROSE SEULE
Muriel Barbery
éd. Actes Sud, 2020
Deuxième sélection Prix Giono 2020
Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Kano Isen'in Naganobu,
- Hanayaka Kizuna.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.