« Depuis tout petit j'étais intrigué par la maison que je viens d'acheter (la maison de mon enfance se trouvait de l'autre côté du parc du Portugal), et je crois que j'ai toujours eu envie d'y habiter. »
Ce roman est paru dans sa traduction française au printemps 2022, et je n'ai cessé des mois durant de le présenter et le recommander dans toutes les réunions de lecture que j'anime en Corse du sud. Sa lecture m'avait été douce. La promesse de l'auteur était tenue : je retrouvais Santiago Gamboa tel quel, l'auteur ensorcelant et déterminé que j'avais découvert un jour et qui n'a cessé de m'émerveiller depuis. Car l'écrivain colombien écrit des romans, raconte des histoires, mais ce faisant il nous dit des vérités dérangeantes, il parvient à nous montrer les violences des sociétés, celles de son pays. Et moi qui ne sais pas lire la violence, sous sa plume je peux y avoir accès, car la violence est vue mais jamais inscrite au cœur du livre, et ne viens donc pas tourmenter l'âme du lecteur. L'écriture intimiste nous invite à tendre l'oreille, et nous chuchote tout, avec simplicité et humilité .. en beauté.
Avec ce livre nous sommes très précisément dans un décor intime, enrobant, savoureux. Le narrateur est un écrivain philologue. Le succès de son dernier roman publié lui permet d'acquérir une maison dont il rêvait enfant. Il s'y installe avec sa tante et va l'aménager, vivre et s'imprégner de chacune des pièces de la belle demeure. Durant ce temps, il revit son passé, retrouve son regard d'enfant qui admirait cette édifice. Nous découvrirons le personnage fascinant qu'est sa tante. Et tout ce temps un troisième individu est présent : leur chauffeur, qui naturellement est bien plus qu'un simple chauffeur, davantage l'ami discret qui veille à tout, tel un majordome à l'ancienne.
Nous passerons d'univers paisibles à l'atmosphère cossu et douillet à d'autres, plus tourmentés et plus actuels. Le narrateur veut voir son monde, son pays, ses dessous. Et le chauffeur l'emmène dans le Santiago de la nuit, dans l'underground, dans les excès de contemporanéité et de charnel que ni nous ni l'écrivain ne soupçonnerions a priori comme faisant partie de notre monde. Dans les deux cas les atmosphères, à l'antipode l'un de l'autre, seront inspirants pour le narrateur philologue. Et il réalise, ou accepte, qu'il fait partie d'un monde d'hier et s'y trouve bien.
Mais voilà, si j'ai tant aimé le voyage lent et tranquille que m'offrait Une maison à Bogota, c'est aussi parce que j'ai aimé être dans cette maison, dans chacune de ses pièces .. j'ai adoré passer du temps dans la bibliothèque – bureau que le personnage central aménage et où il découvre une vie intérieure différente de celles qu'il vit dans les autres pièces de la demeure. Très vite d'ailleurs la voix du narrateur étant incarnée, rendue réelle, je l'ai cru vivant. Je me suis crue dans une autofiction. Fort heureusement la chute m'a détrompée, après m'avoir pertubée !
Roman tendre et éclairé, il fait partie de ceux que l'on désire relire souvent, régulièrement .. parce que l'on s'y trouve bien. Cette maison est la nôtre, celle de notre enfance, celle de l'adulte qui fait retour sur lui-même. Et ce retour permet précisément, au narrateur, à nous chaque nouveau jour, d'affronter l'aujourd'hui, de nous confronter à l'inconnu, et d'ensuite se recueillir chez soi. C'est un Santiago Gamboa merveilleux, et remarquable comme toujours.
UNE MAISON À BOGOTÁ
(Une casa en Bogotá)
Santiago Gamboa
Traduit de l'espagnol (Colombie) par François Gaudry
éd. Métailié 2022 (v.o. 2014)
L'illustration présentée dans l'article est issue de l'exposition Peintures des lointains du Quai Branly (Les lacs, de Jean Dunand).
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.