Un métier dangereux, de Jane Smiley

« De retour dans sa chambre, elle souffla la bougie et s'assit en silence pour contempler l'arbre et le ciel par la petite fenêtre. On était désormais en 1853, et si quelqu'un lui avait prédit deux ans plus tôt ce qu'elle allait vivre - Peter, le voyage à travers la prairie, puis les montagnes, enfin la beauté et l'étrangeté de Monterey - elle ne l'eût pas cru. Mais à présent, en songeant à ce tireur à l'Endu, elle se demandait si elle survivrait jusqu'en 1854. »

L'écrivaine américaine Jane Smiley, lauréate du Prix Pulitzer pour son roman L'Exploitation (délicieuse réécriture du Roi Lear posé dans l'Iowa aux États-Unis) nous revient avec un western au féminin drôle et tendre. Le roman est paru dans sa traduction française en 2024 et sa sortie en édition poche est prévue en avril 2025. S'il prend les allures d'un policier fantastique, en installant ses personnages dans la peau d'un Dupin d'Edgar Alan Poe, il ne se dédouane pas d'un engagement en faveur de l'abolition de l'esclavage et du respect de la femme dans ces années 1850 qui précèdent la guerre de sécession.

Le personnage principal, Eliza Cargill, alias Eliza Ripple, est installée à Monterey dans le Far West. Son mari, à l'origine de leur venue dans cette région s'est fait descendre un soir au saloon, fait divers classique de cette époque. Libérée du joug de son mari violent et infamant, notre Eliza vit désormais en femme libre et gagne sa vie en soulageant les hommes dans une des maisons closes de la ville. Elle se liera d'amitié avec Jean, qui vend ses charmes dans une maison close destinée à la clientèle féminine. Toutes deux se lanceront dans une enquête secrète pour démasquer le criminel qui tue les unes après les autres leurs collègues.

Le roman est délectable pour plusieurs raisons. Il s'écarte des traditions du genre policier et des pratiques actuelles du polar car ici nos enquêtrices sont candides. Elles apprennent les ficelles et dangers du métier de détective dans les romans ! Pas à pas elles surprennent le lecteur par leur témérité inconsciente. Précisons qu'elles deviennent justicières malgré elles puisqu'il n'y a pas de shériff à Monterey ni autre semblant de représentant de la loi, surtout pour défendre les travailleuses de la nuit.
Néanmoins le roman est fidèle au souci de réalisme social car l'autrice s'est manifestement documentée pour nous offrir une vision juste de cette époque et de la vie du lieu en cette fin de dix-neuvième siècle, à la veille de la guerre de sécession. Il nous plonge dans les lectures de ces femmes, Poe, Dickens ..., perçues par le regard innocent d'une Eliza élevée dans une famille docte coventaire, ou de la tenancière du bordel, Madame Parks, dont personne ne connaît l'histoire. On se rend compte à quel point le passé de tous les habitants du lieu est secret, souvent obscur. Ces hommes et ces femmes quitter leur ancienne vie.

Le lecteur appréciera tout particulièrement les tableaux de la nature, présents page après page : tant Eliza que Jean aiment marcher. Leur quotidien est fait de promenades. Leurs sens sont éveillés pour percevoir le moindre mouvement, bruit, parfum et changement de la vie environnante, végétale ou animale.

Avec Un métier dangereux Jane Smiley nous ravit encore une fois avec la même intelligence, la même douceur qu'elle avait déployés dans son précédent roman, Les aventures de l'intrépide Troïka dans Paris.

UN MÉTIER DANGEREUX
(A Dangerous Business)
Jane Smiley
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau

éd. Rivages 2025

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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