Non, je ne connaissais pas encore la plume de Maylis de Kerangal. Pour l’avoir vue et écouté présenter son dernier livre « Réparer les vivants » à la librairie Compagnie récemment, et parce qu’une amie m’avait parlé de cet écrit-ci début janvier, je me suis laissée convaincre de faire la connaissance de l’écrivaine par cette tangente… pour mon plus grand bonheur !
La fuite peut-elle être vue comme une construction, fournirait-elle le chemin vers un avenir plus idéal, plus aimable que le présent tel qu’il se déroule ? Dans une écriture très aérienne qui par moments m’a fait penser aux mouvements de zoom avant et de zoom arrière tels qu’ils sont peints par Virginia Woolf dans « La Promenade au phare », Maylis de Kerangal met en scène une jeune femme française et un jeune homme russe. Tout sépare ces deux êtres et leurs destins mais ils vont se croiser et s’accompagner sur le Transsibérien. Pourquoi sont-ils montés dans ce train ? Où vont-ils descendre ? Il serait aussi vite fait de vouloir répondre à la grande question « D’où venons-nous et où allons-nous ? », tant j’ai eu le sentiment de lire une humanité pure et fidèle dans ce récit. Les personnages de la vie sont là : celui qui est inscrit dans la réussite, celle qui est dénonciatrice, cette autre qui est héroïque, mais aussi la crapule, le costaud sans cervelle et ainsi de suite…
Un échantillon humain se croise et au cœur de ce carrefour deux êtres communiquent alors qu’ils ne parlent pas leurs langues réciproques. De fait la langue qui est déliée dans le livre relève d’un langage universel, d’un langage sensible qui perce les êtres humains, lit dans leur cœur et dans leur âme, sans jamais porter de jugement ni tenter de déguiser leurs traits de caractère. Une esquisse fine, légère et de profondeur dotée se révèle à nous et se transformera en une aquarelle de grande lumière vers la fin du livre. Cette vision lumineuse qui pourrait nous dire tous autant que nous sommes, dans le fond, sommes même chose peut-être… C’est ainsi que j’ai lu, pour ma part, les derniers mots du livre : « ils se tiennent côte à côte, posent ensemble, c’est la provodnitsa qui les photographie avant de les embrasser, et sur l’écran, ils se ressemblent, ils ont les mêmes visages. »
TANGENTE VERS L’EST
Maylis de Kerangal
éd. Verticales – Gallimard 2012