La mort d'une île ?
Nous connaissions et aimions tant la maison d'édition Delcourt littérature, chez Kimamori. Aussi sommes-nous ravis de savoir qu'elle n'a pas disparu : les deux maisons Les Avrils et La Croisée s'y sont substituées, la première pour les romans d'écrivains francophones, la deuxième pour les romans d'écrivains internationaux traduits en français.
Ce tout premier livre paru chez Les Avrils, et deuxième roman du jeune écrivain Martin Dumont remporte cette année, en 2021, le Prix France Bleu - Page des Libraires, récompense largement méritée. À l'occasion de notre Book Club thématiques Les Îles nous avons eu à cœur de le lire ; et le recommandons sans hésiter.
Telle une vague dévastatrice, la construction d'un pont gigantesque, donne lieu à des débats houleux dans l'île où se situe le roman. Les îliens, habitants du lieu depuis des générations, se connaissent tous, ont grandi ensemble, passent leurs soirées ensemble dans le petit bar du coin. Ils craignent la mort de leur île du fait de ce pont : le monde du dehors va se déverser chez eux. Jusque là l'île n'était accessible que par bateau depuis le continent ..
Le personnage principal, Léni, travaille dans une entreprise de réparation de bateaux. Fidèle à son patron Marcel qui l'a repêché d'une vie qui aurait basculé dans une délinquance assurée, il voit son monde en perdition. L'entreprise bat de l'aile, son épouse l'a quitté en emmenant avec elle leur fille qu'elle craint de lui laisser par trop souvent. Son meilleur ami, le pêcheur Stéphane, se morfond et s'agite. Y aura-t-il un avenir pour eux, peuvent-ils se rebeller contre ces temps nouveaux qui les assaillent ? Tant qu'il reste des îles se fond successivement dans le désespoir d'un monde qui s'effondre puis dans l'espoir d'un lendemain autre.
L'écrivain Martin Dumont est architecte naval, et passionné de voile. Ces deux univers sont merveilleusement retransmis sous sa plume. La toute première scène nous plonge dans le souffle de Léni, sur son voilier, qui nargue la construction du pont avec art et maîtrise. Nous voilà déjà dans le vocabulaire du navigateur aguerri, dans l'amour de la mer, et dans le défi d'une évolution indésirable de cette nature parfaite, préservée. Mais nous lirons aussi, dans le moindre détail technique, les tâches réalisées pour colmater les brèches sur une coque de bateau ou autres prouesses pour offrir une seconde vie à tous types d'embarcations.
Le plaisir de lecture ne s'en trouve qu'amplifié car l'auteur a pour dessein de nous porter au plus près de la vie de ces hommes et ces femmes, à la subsistance simple, révolue aux métiers qui ont tant bien que mal survécu au fil du temps. Car ici on travaille de ses mains, les machines et la technologie de pointe sont bien loin du quotidien des habitants de l'île.
Avec poésie, et grande humanité, le roman nous permet d'apprécier la valeur et l'essence d'une île, et par extension des îliens. Tout comme si l'on souhaitait regarder l'Homme ramené dans une échelle de valeurs intemporelle, universelle. Et en effet, l'amitié, la solidarité, la paternité, l'amour, sont vus à l'aune des petites vies, tel que nous les aimons et les aimerons toujours. Ces hommes sont très imparfaits. Ils ne revendiquent pas une réussite sociale, professionnelle, de rang ou de classe. Simplement ils sont unis. Et ils sont fidèles à eux-mêmes, toujours cohérents dans leurs actes et leurs pensées. Moi qui aime les attributs dévolus en général aux hommes de montagne, me suis épris de l'esprit du personnage principal Léni. Lors d'une discussion au sujet des îles, un compère dit de lui qu'il est une île à lui seul ! Eh oui, homme taiseux, peu expressif, ne cherchant jamais à séduire superficiellement, il est d'une loyauté sans faille.
L'histoire est menée d'un rythme tranquille. Et le lecteur s'en délecte. Les rebondissements surgissent avec un naturel époustouflant, et cherchent à se résoudre avec simplicité. Néanmoins, le roman accepte le changement, la transformation. Pour l'avoir combattu férocement, le lendemain autre pourra gagner en sagesse. Un changement est favorable, si l'on accepte de sortir de soi, pour aller vers l'autre.
TANT QU'IL RESTE DES ÎLES
Martin Dumont
éd. Les Avrils 2021
Prix du Livre France Bleu - Page des Libraires 2021
Les images accompagnant l'article nous donnent à voir :
- Le pont de l'île d'Oléron,
- Le pont de l'île de Ré.
La photographie mettant en scène la couverture du livre en tête de l'article est de ©murielarie pour Kimamori.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.
