Sages Femmes, de Marie Richeux

« Qu'avais-je démêlé de la pelote de ces filles-mères ? »

Ce roman de Marie Richeux, Sages Femmes, est une des parutions de la rentrée littéraire 2021 qui m'a le plus longuement accompagnée. Il n'est pas très épais (200 pages) et pourtant, moi qui lis tant et si vite, suis restée dans ses fils des semaines durant. Je savourai lentement, intriguée et happée. Une narratrice, alter ego de l'écrivaine, mène une enquête et remonte le fil de générations de filles-mères, de couturières, de tisserandes, de femmes courageuses aux multiples dimensions de sa famille. Ce fil de la vie, qui revient toujours entre ses mains est là pour nous apprendre quelque chose, nous initier à l'art de tisser nos vies en étant présent au monde, à chaque instant. Plongeon dans notre intériorité, Sages Femmes nous ouvre un vaste monde où l'autre est une prolongation de soi, broderie jamais achevée.

Le roman s'ouvre sur une nuit d'orage dans le Tarn où la narratrice a peur dans sa tente. Cette nuit fait écho à une Vierge sculptée à la croisée de trois chemins. La narratrice va être mère. Et voilà qu'elle ressent le besoin de savoir, de se connaître, et d'enquêter sur l'histoire des femmes de la famille, des générations qui l'ont précédée. À ses côtés nous pourrons démêler l'enquête qui s'avère très vite relever de la quête. Chemin faisant elle rencontre d'autres femmes, des artistes tisserandes mais aussi toutes ces femmes qui ont vécu autrefois. Là où elle ne trouve pas les traces de ses ascendantes elle se passionne pour l'histoire de ces autres vies, anonymes, filles-mères, qui ont mené des existences semblables. Oubliées ; mais vivantes désormais, par quelques mots retrouvés dans une archive, quelque courtepointe découverte par le gré du hasard. De fil en aiguille nous entrons dans le sens de la vie. Remonter à la source rafraîchit et éveille. Une longue chaîne de femmes se tisse, et nous lecteurs, aurons le sentiment que nos chemins s'entretissent avec. Tout ce temps les mots et la joie spontanée de l'enfant, de la petite fille qui naît de cette mère narratrice, avide de découvrir le trésor de la vie, nous égaie et nous guide.

Le récit peut sembler décousu, puisque l'on chemine de pair avec la narratrice qui fait ses recherches, se documente, se rend à Reims, visite une exposition de peinture. Étrangement, c'est précisément l'effet inverse que produit cet errement. Nous sommes liés, reliés, à celle qui cherche.  Et lorsqu'elle passe des heures à lire la moindre mention de piles de documents archivés, nous suivons le détail avec elle. En lisant Marie Richeux j'ai repensé à ces écrivains qui épluchent les bottins de temps révolus, ou ceux qui déambulent dans un cimetière. Chaque nom, adresse, date reprend vie par la grâce de l'imaginaire de celui qui s'y arrête. Et ces petites vies anodines, subitement, nous renseignent sur une époque, sur des législations en vigueur autrefois, un mode de vie, des joies et des souffrances.

J'avais lu un jour sous la plume de Somerset Maugham que la vie était semblable à une tapisserie, à un minuscule carré réchappé d'un grand tapis. Des motifs se dégagent, des liens nous parlent, ou plutôt, nous soufflent des secrets précieusement gardés.
J'ai relevé tant de phrases, d'extraits de ce roman. Des idées simples expriment une grandeur insoupçonnée. La fragilité de celle qui enquête, face à l'ampleur de tout ce qui a été tu, si longtemps, nous apprend à être soigneux de ce qui peut être récolté.
« Dans les langues anciennes, le mot fil rejoignait le mot destin, qui rejoignait le mot vie, qui rejoignait le mot vêtement, qui rejoignait le mot maison, qui rejoignait le jardin des pensées, qui rejoignait, et sans aucun détour, celui désignant le giron maternel. Il y avait là un vêtement qui me tombait parfaitement sur le corps. Tisser, penser, donner naissance. »

Entrelacé avec les pensées et méditations de la narratrice, avec le détail de sa quête indéterminée, j'ai lu avec joie et délice les moments de partage. Cette jeune femme passe du temps avec sa tante, sa fille joue et pose des questions. Une chargée aux archives ou une artiste s'assied avec elle et dialogue. Dans la proximité naissante entre ces personnes, dans l'intimité qui se crée, dans la chaleur qui se dégage et l'amour qui rayonne entre elles, une place nous est offerte, à nous, lectrices et lecteurs. Ces instants magiques nous les partageons ensemble. Dès lors, ce roman, Sages Femmes, nous offre le plus précieux des avoirs : être là et habiter cet espace invisible qui nous relie. Merci à l'écrivaine. Et, à chacun d'entre nous d'étendre la tendresse humaine.

SAGES FEMMES
Marie Richeux
éd. Sabine Wespieser, 2021

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Sheila Hicks,
- Oassila Arras.
La photographie de l'auteure en tête de l'article est de Marco Castro.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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