Il y a quelque temps je vous avais parlé de José Eduardo Agualusa et de son dernier livre, Théorie générale de l’oubli, que j’avais trouvé remarquable. Depuis j’attendais avidement qu’il en publie un autre. Tout à fait par hasard je suis tombée sur son dernier écrit que je me suis empressé de lire. Et ô comme j’ai aimé ce livre. Il est différent du précédent. Le ton de la narration, la saveur autrement historique, la temporalité et la structure sont différents. Mais la beauté du dire, le talent de conteur de l’écrivain, la profondeur du message véhiculé font que l’on retrouve bien cette plume fabuleuse. Nous sommes encore une fois en Angola, toujours frappé d’événements historiques. Là-bas nous étions plongés dans la guerre civile, ici l’on remonte aux sources, et l’on navigue dans les confins des seizième et dix-septième siècles. Le personnage principal est toujours une femme. Mais là-bas nous étions aux côtés d’une portugaise livrée à elle-même dans un territoire hostile, ici nous sommes en présence d’une grande reine, Ginga, qui de sa poigne de fer ridiculise tous les hommes de la planète ! Et cette fois le narrateur est un prêtre. Un homme bon, inconscient de sa bonté ! Le picaresque laisse la place au quasi-légendaire. Et toujours, les hommes sont de bien petites choses, tourneboulés dans les courants historiques, imbibés de leurs singularités, viles et touchantes, admirables et discutables !
L’histoire contée, parce qu’elle relève de la grande Histoire, est simple dans sa complexité. Francisco, un prêtre Brésilien issu d’un métissage Indien et Portugais, postule au poste de secrétaire de la reine Ginga ((1581-1663) et migre donc en Angola. A partir de ce jour son destin sera lié à celui d’un pays et des guerres de pouvoir et d’argent qui ne cesseront de le déchirer. Toujours il restera fidèle à la Reine, tombé en admiration devant la majesté de son attitude et de son intelligence de stratège, mais aussi parce qu’il tombe amoureux, d’un peuple, d’une femme. Aux yeux de l’Eglise il deviendra un apostat et son effigie sera brûlé sur la place publique à Lisbonne. Il voyagera, se fera diplomate avisé et ami de grands hommes de son temps. Bien que déchu de son rôle de prêtre il restera toujours un simple, un homme en deçà des intérêts qui perdent les hommes. Il vivra mille aventures et nous les rapportera. Et tout au long de son récit il aura gagné nos coeurs et notre respect. Il se dit couard, mais n’est-il pas finalement un grand homme ?!
Le récit est si joliment tracé, si tendre toujours et si succulent aussi. Parce qu’il nous permet de baigner dans des croyances locales, parce que l’homme qui raconte ne juge jamais, il nous rend meilleur… Et puis j’ai aimé tous ces proverbes, ces histoires millénaires qui jalonnent le récit. La sagesse se savoure, dans ces perles distillées ici et là, au moment où on les attend le moins. Puis j’ai aimé la structure un peu façon d’antan. Le contenu de chaque chapitre est annoncé à l’ancienne. Un peu comme dans les épopées d’autrefois. Car c’est bien d’une épopée dont il s’agit. Celle tracée par la lance de l’esclavage, des pays colonisateurs, de la Compagnie des Indes, des pirates qui livraient les guerres des portugais, des espagnols, des hollandais… C’est une histoire d’hommes et de femmes pour qui tout cela n’est que l’ordinaire d’une vie. Et en effet, c’est une histoire intemporelle et universelle. Nous en sommes tous les fruits. Car l’on comprend bien assez tôt que l’Histoire n’est qu’un fait d’éternels commencements, toujours de la même histoire !
Oui, lisez ce livre. Lisez cet écrivain. Et nous en reparlerons !
Un grand merci aussi aux éditions Métailié qui nous offrent de découvrir cette plume, depuis longtemps déjà. Et signalons que Théorie générale de l’oubli avait remporté le Prix littéraire International de Dublin en 2017 et qu’il avait été finaliste du Prix Man Booker International 2016.
La Reine Ginga
José Eduardo Agualusa
traduit du portugais (Angola) par Danielle Schramm
Editons Métailié, 2017 (v.o. 2014)
Prix littéraire International de Dublin (ex Impac) en 2017
Finaliste du Prix Man Booker International 2016
Les illustrations présentées sont les oeuvres de :
– Photographie John Potts (fort de Luanda),
– Peinture Edson Chagas.