C'est sous le pseudonyme de Kââ (il en utilisa d'autres, tel que Corsélien et Béhémoth) que Pascal Marignac, professeur de philosophie, publiait en 1984 Silhouette de mort sous la lune blanche, le premier roman d'une longue série mettant en scène un personnage sans nom, charismatique et quelque peu psychopathe sur les bords.
Le roman commence sur les chapeaux de roues. Notre personnage, anti-héros par excellence, a abattu un de ses complices (le jeune Vila) lors d'un hold-up. Si ce dernier avait vraisemblablement la gâchette facile lorsqu'il s'agissait de tirer sur la foule - et qu'on se dit bon débarras - notre protagoniste, de sn côté, est loin d'être un saint qui accumule les bonnes actions. Bref, le voilà en cavale, avec à ses côtés un autre complice, Straub, qui se vide de son sang sur la banquette de l'Alpine bleue.
Mais ils ont un léger souci : Joel Vila a deux frères prêts à en découdre, autant pour venger la mort du frangin que pour récupérer leur part du braquage. Voire tout le magot, tant qu'à faire, en réparation du préjudice familial ..
« Extraire une balle, ce n'est pas rien. Je l'avais déjà fait une fois, mais dans une épaule et sur moi-même, ce qui allait à peu près. Je m'étais juste évanoui six fois. Là, il y avait de la tripe en question, dans son cas. Pas seulement du muscle".
Le temps que Straub se rétablisse, le duo se cache dans la maison de notre tueur. Très vite, on découvre un aspect du personnage que j'ai particulièrement apprécié ; la naïveté ne présente aucun charme pour lui. Il doute de tout, tout le temps, et surtout de tout le monde. Donc, en partant de ce postulat, il décide de tuer le seul homme qui connait sa cachette et qui pourrait le dénoncer, Jérémie Detwiller.
Passons les détails, mais nos deux protagonistes se retrouvent alors à sillonner la France en long en large et en travers avec deux autres personnages, à savoir Corinne, la veuve de Jérémie, également à la gâchette facile qui s'entiche vite du héros qui n'a rien d'un prince charmant, et ... le chat Azimut.
Une chose est sûre, plongé dans ce petit livre, le lecteur verra du pays ! On passe d'un petit patelin à un autre, avant de tracer en Italie, et de repartir pour la Suisse, pour revenir ensuite en France avec cette équipée haute en couleur. Nous sommes embrigadés dans un road-trip effréné, où les balles pleuvent et les corps s'accumulent sur notre route. Car oui, ça dérouille ! Les trahisons sont nombreuses, et les amis d'hier ne sont pas souvent ceux de demain, étant donné les sommes en jeu.
J'ai adoré l'ambiance, et surtout le style d'écriture de l'auteur, avec des phrases hachées qui maintiennent un rythme d'enfer. Et puis l'humour, souvent absurde, ne pouvait que me ravir. Notre héros peut parler d'armes en tous genres, de la manière de se sortir du pétrin dans lequel il s'est fourré, tout en enchainant la ligne suivante sur la cuisson du cassoulet ou sur le choix d'un grand cru.
« Il avait participé à la guerre d'Espagne du côté républicain en tuant des petits moines fanatiques installés dans des clochers, en évitant de se faire couper les couilles par les troupes maures et en incendiant à peu près tout ce qui pouvait être incendié. Il aimait beaucoup raconter cette période où il s'était beaucoup amusé. »
Nos protagonistes sont de fins gourmets, et par ailleurs cultivés. De nombreuses références, littéraires, musicales ou culinaires, sont glissées dans ces pages, et cela apporte un contraste intéressant avec leur mode de vie. D'ailleurs, c'est un véritable catalogue d'armes à feu que nous présente Kââ, de quoi faire sa liste de courses !
Les éditions de la Table Ronde nous offrent une réédition du premier roman publié de l'auteur, décédé en 2002. La couverture est très belle, comme toujours dans la collection La petite Vermillon. J'ai découvert un écrivain, que je vais m'empresser de lire régulièrement, avec plaisir.
Silhouette de mort sous la lune blanche se dévore, comme si l'on craignait nous aussi d'être attendus au détour d'une page par les frères Vila, ou par les gendarmes. Tout comme le chat Azimut, on se laissera guider, on passera d'une voiture à l'autre en regardant défiler les villes et les campagnes françaises, conduit par cette drôle d'équipe, au cœur pas vraiment tendre mais pourtant attachante.
Les illustrations présentées dans l'article sont (dans leur ordre d'apparition) :
- Bois de pins, détail d'un paravent par Hasegawa Tōhaku
- The Witch and the Skeleton Specter, d'Utagawa Kuniyoshi, 1844
- Yokoyama Taikan, aube printanière sur les sommets sacrés de Chichibu, 1928
L'auteure de cet article et en charge des rubrique Littérature de l'Imaginaire et Polar dans le journal bimensuel et sur le site de Kimamori est Amalia Luciani. Découvrez-la par ses propres mots :
Je m'appelle Amalia, j'ai 26 ans. Diplômée d'un master d'histoire, je suis passionnée d'écriture et de livres, tout particulièrement dans le domaine de la fantasy, de l'anticipation et des polars bien noirs et sanglants.
Mes articles sont parus dans divers journaux, dont en 2013 sur le site de l'Express. En 2012, une exposition individuelle à la galerie Collect'Art de Corte a célébré mes photographies, ma seconde passion. Enfin, en 2018, j'ai remporté le prix François-Matenet, à Fontenoy-le-château dans les Vosges avec une de mes nouvelles ayant pour thème l'intelligence artificielle. La même année j'ai co-animé une conférence sur la place des femmes en Corse, du 19ème siècle à nos jours, un des thèmes de mon mémoire de recherche à l'Université.