Monsieur Jadis ou l’École du soir, d’Antoine Blondin

Le père de l'autofiction ?!

Un jour une amie m'a mis entre les mains un roman d'Antoine Blondin. C'était il y a une quinzaine d'années, et j'avoue, je n'avais encore jamais lu cet auteur. Ah! Quel monument d'écriture de la langue française. La maîtrise parfaite et le plaisir jubilatoire s'entremêlent pour former la plume, le style, la voix diraient les anglosaxons, de cet auteur inclassable. Quelle ne fut pas ma joie, alors, de voir que les éditions La Table Ronde rééditaient en cette rentrée 2020 Monsieur Jadis ou l'École du soir, dont la première publication date de 1970. Je ne peux vous dire qu'une chose : on ne peut pas ne pas avoir lu ce roman. Et, que l'on aime l'autofiction ou non, on découvrira enfin son origine, sa beauté grande et pure.

« Longtemps j'ai cru que je m'appelais Blondin, mon nom véritable est Jadis. C'est celui que je viens de donner au brigadier penché sur la main courante de ce commissariat dont je ne soupçonnais pas l'existence. Il occupe un long rez-de-chaussée aux vitres dépolies, pareilles à celles d'une succursale de banque, une banque de dépôt naturellement, encombrée de guichetiers patibulaires et de gardiens casqués sur les fesses, à tout hasard. On a dû l'inaugurer pour les besoins de la cause entre les Evénements d'Algérie et les Evénements de Mai. Que d'événements depuis la dernière fois où je me suis retrouvé dans la cage grillagée. Ici, où l'on enferme "jeune" dirait un dépliant publicitaire, le changement de propriétaire s'est fait sentir ; le crésyl historique a chassé les remugles traditionnels d'urine et de picrate. J'ai brusquement été sensible à cette évidence que de nombreux cars de police étaient désormais gris, comme nos cheveux. Il me revient que nous avons un peu vieilli ensemble. »

Le décor est posé dès la première page, que je viens de vous donner à lire. Le narrateur et personnage principal, Jadis, se fait embarquer par les policiers. Il peut ainsi se remémorer les mille autres fois, où, jadis, il a vécu cette même aventure délicieuse. De là nous serons entraînés dans ses aventures rocambolesques, rencontrerons ses amis de la nuit, et parfois ceux du jour tel Roger Nimier, l'écrivain, journaliste et scénariste que nous connaissons. Sa compagne, ou ex-compagne, sa mère, ses filles, font des apparitions aussi. Et les frasques de l'auteur de génie, drôles toujours, terriblement tristes dans le fond, sont contés avec une pointe de mélancolie. La vie est grande. La vie est petite. Mais ce qui la constitue pour certains est parfois incompréhensible. De l'incompréhensible naît le génie. Peut-être.

Parfois, même les très grands lecteurs se trouvent dans une impossibilité de lire. Rien ne passe. On ne peut ingurgiter un seul mot, une seule phrase, une seule pensée ou émotion inscrite dans les mots. Et c'est alors que vient à nous un tel livre. Tel le grand vin enrobé et étincelant de parfums subtils, on le garde en bouche ; on le savoure lentement. Telle fut mon expérience de lecture de Monsieur Jadis ou l'École du soir. Moi qui peux lire avec aisance deux livres successifs dans la même journée, lisais un chapitre par soir de cette merveille, et n'ai rien lu d'autre, en parallèle ! Oui, je l'ai conservé longuement à mon chevet, l'ai dégusté avec joie, et y reviendrai encore !

J'ai aimé relire Paris aussi. Cette ville de nuit, vivante, folle, extensible, où l'on rencontre difficilement quel que limite que ce fût. Je ne sais si ce Paris-là existe encore. Je l'ai connu et aimé autrefois, quand j'y habitais. Et Blondin nous rend cette ville vivante, la raconte si bien. Quant aux personnages de ce roman - car c'est bien d'un roman qu'il s'agit - sont impossibles à décrire. L'auteur ne les décrit pas, il les laisse s'exprimer. Leurs mots disent tout de leur être, les scènes qui les mettent en jeu mettent esquissent leur âme, sous la lumière tamisée des heures tardives où nul n'est tout à fait lui-même. Chacun est double, voire triple. Et tous se prêtent au jeu, puisque la vie est un jeu grandeur nature. Et ce ludique effrayant et éhonté fascinera le lecteur d'hier et d'aujourd'hui. Nous ouvrira quelque horizon aussi, pour que l'on s'autorise, parfois, même à toute petite dose, d'être fantasque, et gaiement enfantin.

On révère l'auteur. On s'ahurit de sa folie vibrante. Et l'on se demande comment les deux hommes (l'écrivain et Monsieur Jadis!) ont pu être Un. Mais surtout, on saura en le lisant qu'Antoine Blondin est bien plus que le journaliste sportif ou celui dont le livre a été adapté à l'écran pour le film éponyme d'Henri Verneuil Un singe en hiver. Il est beaucoup plus : il donne des ailes, mêlées parfois de larmes, toujours sincères. Abreuvons-nous à sa coupe.

MONSIEUR JADIS OU L'EéCOLE DU SOIR
Antoine Blondin
éd. La Table Ronde, 2020
Collection La petite vermillon

Les contributeurs de Kimamori pourront écouter :
- La préface du livre par Christian Authier,
- Un extrait lu du roman.

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Cendrine Bonami-Redler (dessin issu du livre Dans son jus),
- Mark Chagall, Paris par la fenêtre.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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