Marche sans fin dévore la faim

Il est bien des écrivains nigériens contemporains à lire et à découvrir, mais on ne devrait pas passer à côté de ce récit poignant et du génie de Ben Okri qui mérite largement son prestigieux Man Booker Prize. Les premières pages peuvent paraître quelque peu étranges, mais très vite le récit m’a fait penser à une pièce de théâtre africaine que j’avais vue chez Ariane Mnouchkine voici quelques années. Terre de superstitions et de sorcelleries présumées, l’Afrique met en scène dans ses contes tant les humains que les esprits, les vivants que les morts, l’angélique que le maléfique. Rien de tout cela ne relève du surnaturel, nous n’avons là que le quotidien le plus ordinaire. Et c’est ce quotidien qui est ici délié.

Un jeune garçon nous raconte sa vie, celle de son père, de sa mère, de ses voisins, nous révélant dès les premières pages qu’il est un enfant-esprit : de ceux qui ne viennent faire qu’un bref voyage dans ce monde des vivants. Or lui, aura décidé de se maintenir dans ce monde de malheur, par amour et pour l’amour de ses parents. Mais oh comme le chemin s’avère difficile. Les conditions de vie sont plus que miséreuses. Les politiciens sont des vermines. Et l’on boit, et l’on parle et l’on se lamente pour ensuite de nouveau boire et parler ; se faire limoger aussi, parfois, souvent. Seule la tenancière du bar local peut se faire prospère et s’épanouir dans son obésité croissante, régalant ceux qui ont l’argent et le pouvoir.

Ce livre est étonnant, surprenant à chaque pas, terriblement touchant et riche de mille métaphores au fil du chemin qu’il trace. Sa lecture est en soi une expérience de vie bouleversante. Je ne me suis pas ennuyée une seule seconde malgré les longueurs et les quelques six cent pages du livre. Et je notai, comblée, que je lisais lentement. Cela faisait bien longtemps, en effet, que je n’avais pas mis deux mois à lire un seul et même livre, venant à bout de toutes les publications récentes en quelques jours voire quelques heures… Force est de constater aussi que malgré l’extraordinaire qui tisse le récit j’aurais appris comme jamais, et compris en profondeur, la réalité d’un pays, ses aberrations et injustices sociales.

LA ROUTE DE LA FAIM
(The Famished Road)
Ben Okri
Traduit de l’anglais par Jean Guiloineau
Éd. Robert Laffont, 1997 (v.o. 1991)
Man Booker Prize 1991

Leave a Comment