Long Island, de Colm Toibin

« L'espace d'un instant il eut une sensation de complète irréalité. Il baissa les yeux vers le sable, et quand il releva la tête elle était devant lui, avec une expression où ne se lisait ni la peur ni la colère, mais un étonnement presque amusé. »
« Comment as-tu su que j'étais là ? »

Le dernier roman de l'écrivain irlandais Colm Tóibín, Long Island, paru en cette rentrée 2024 est de ces œuvres littéraires qui bercent l'âme du lecteur et émerveillent ceux qui eux-mêmes écrivent, par une grâce et une force combinées, mystères éternels de la grande littérature. Cerise sur le gâteau, on y retrouve les personnages tant aimés des roman cultes de l'auteur, essentiellement de Brooklyn, mais aussi une brève apparition de Nora Webster, qui ont désormais vingt ans de plus.

Ellis Lacey, héroïne de Brooklyn vit désormais à Long Island. Mariée depuis vingt ans, mère de deux enfants, un matin elle ouvre la porte de sa maison à un inconnu qui la met en garde sans prendre de gants : son épouse est enceinte et le père du bébé en gestation serait Tony, le mari d'Ellis. Dès sa naissance il laissera le nouveau-né sur le pas de la porte de son géniteur et ne voudra plus en entendre parler. Ses menaces proférées, et s'étant assuré qu'elles sont prises au sérieux, il s'en va. Confronté à cette situation impossible, heurtée d'apprendre que son mari l'a trompée, Ellis décide de partir en Irlande, chez sa mère qu'elle n'a pas vue depuis deux décennies. Le reste du roman se déroule à Enniscorthy, petite ville tranquille où rien n'a changé, et où elle reverra inévitablement son ancien amoureux Jim Farrell.
Le lecteur ira de surprise en surprise, sera ébloui par chacun des personnages, construits tout d'une pièce, à l'âme irlandaise bien trempée et sachant employer la phrase fatidique et le silence monumental, toujours de concert.

On lit une grande histoire d'amour, voire plusieurs histoires d'amour qui se déploient simultanément. On entre dans les problématiques causées par le quiproquo de la situation, pour bientôt voir la pelote de malentendus et équivoques s’emmêler sans retour en arrière possible. Le chemin que prennent les destins court vers un précipice vertigineux mais à chaque page le lecteur est incertain du dénouement. On est alors béat devant l'art du romancier qui savamment, patiemment, tisse sa toile. Arrivé à la dernière page on sort du livre soufflé. Quel grand art, quelle absolue simplicité miraculeuse, doublée de maîtrise, qui jamais ne laisse transparaître ses ingrédients et sa recette mais n'en livre pas moins un mets hautement savoureux, et hors du commun.
Ce livre ravira les lecteurs indépendamment des romans précédents qui mettaient en scène les personnages de Long Island, vingt ans avant leur devenir raconté ici. Mais bien sûr nous n'aurons qu'une envie, lire ou relire Brooklyn après avoir fermé Long Island.

LONG ISLAND
Colm Tóibín
Traduit de l'anglais (Irlande) par Anne Gibson

éd. Grasset 2024 (v.o. 2024)

Les anglophones pourront suivre cette vidéo passionnante où Colm Tóibín démystifie sa cuisine interne de fabrique de l’œuvre et nous laisse admiratif tels, probablement, les étudiants qui suivent ses cours.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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