Les machines fantômes, de Olivier Paquet

« Dans un monde où la société est devenue artificielle,
les intelligences artificielles pourraient-elles faire société ? »

Lorsque j’ai lu pour la première fois le résumé des machines fantômes d’Olivier Paquet, j’ai eu un instant d’appréhension devant l’annonce des quatre personnages principaux. D’abord, il y a Adrien, un trader capable de s’octroyer les services d’intelligences artificielles pour manipuler les cours boursiers mondiaux. Vient ensuite Aurore, une chanteuse pop plus connue sous l’identité de Stella MacCall, évincée peu à peu du devant de la scène par sa rivale LéaH. Il y a également Kader, un ancien tireur d’élite reconverti dans la sécurité privée complètement dépassé par son grand-père malade – et pourtant terriblement culpabilisant - et par son frère dont les penchants extrémistes s’affirment de jour en jour. Enfin, on trouve Lou, une joueuse de jeux vidéo MMORPG qui s’épanouit davantage derrière son écran que dans la société dans laquelle elle vit.

La galerie de personnages de ce roman choral m’avait fait craindre de tomber dans des archétypes un peu usés mais le découpage en chapitre individualisé permet un développement plus riche que ce à quoi je m’attendais (léger bémol tout de même pour Aurore, bien écrit en soi mais pour lequel je n’ai pas d’affinité). En me renseignant sur Olivier Paquet, j’ai découvert que c’était un grand amateur de mangas, domaine que j’apprécie énormément et qui, à mon sens, a laissé son empreinte sur certains aspects du roman (entre autres, des personnages nombreux, avec des archétypes très prononcés voire des signes distinctifs très forts). Cependant, j’ai trouvé qu’une fois qu’ils étaient tous réunis par les événements, les caractères des personnages disparaissaient derrière la dynamique de groupe, dès lors qu'ils sont portés par l’histoire qui s’accélère.

« L’atmosphère du métro créait une communauté sauvage sans chef et sans guide, addition de micro gestes favorisant l’allure rapide et nerveuse, le besoin de participer à un ensemble plus grand que soi et qu’on ne saurait décevoir en s’arrêtant. Seuls les concerts offraient la même sensation, mais avec une foule statique. Ici, pas de ferveur, pas de cri, l’apogée du mouvement pour le mouvement, l’expression ultime des corps sans aucun esprit, aucune intelligence. »

Vous l'avez constaté, de prime abord nos héros n’ont rien en commun. Or, ils vont croiser la route d’un autre protagoniste qui va lier leur destin : Hans / Joachim, selon l’identité qu’il décide de revêtir. Maître dans l’art de la dissimulation, séduisant autant que menaçant, il est viscéralement persuadé que le sort de notre civilisation doit être confié à des intelligences artificielles. Pour empêcher cela, Adrien, Aurore, Kader et Lou vont être contraints de s’entraider.

Quand on est grand lecteur d'un certain genre de littérature, on est plus difficilement surpris, et l'on voit apparaître les ficelles. Dans Les machines fantômes, deux points importants m’ont plu de ce point de vue. Tout d’abord, l’histoire se situe à peu près dans les années 2030. Les avancées technologiques sont présentes mais sans être trop tirées par les cheveux. Nous sommes vraiment dans le roman d’anticipation, crédible jusqu’à l’os. Pas de voitures volantes, on prend le métro, mais les balles des armes sont capables de suivre leur cible. Ce monde nous est familier, Olivier Paquet ne donne pas dans la surenchère, et c’est une excellente chose. J’ai notamment beaucoup apprécié (et pourtant, c’est un détail !) le fait que Cristina, l’amie de Lou, suggère d’implanter dans le système des sites de rencontres le critère de l’emplacement de l’habitation, pour que les prétendants habitent au plus près de leurs parents ou de leur travail. Cette remarque choque Lou, mais dans notre société capitaliste qui avance à cent à l’heure, n’est-ce pas là un critère de sélection amoureux aussi valable qu’un autre ?
De plus, l'auteur ne joue pas la carte de l’anthropomorphisme avec les machines. Elles sont partout, influent sur les événements, et s’amusent à créer des simulations d’avenir potentiel, mais sans jamais parler aux personnages ni leur faire une grande leçon sur leur incapacité à gérer leur vie ou la planète. Et pour ça, merci Olivier Paquet !

« Mon royaume pour des lecteurs, des gens qui s’approchent à dix centimètres des tables, qui retournent les livres pour consulter la quatrième de couverture, voire ouvrent pour lire un extrait. Cette expérience si agréable pour un auteur d’arriver à susciter l’envie par les mots, avant que la communication s’établisse. Les vedettes avec une file préétablie ne connaissent pas ce privilège, les fans sont déjà conquis, la communion a déjà eu lieu. Alors, même si je râle, même si je maudis ma naïveté, j’y reviens toujours pour ces rares moments où un lecteur surgit. »

Dans Les machines fantômes, les IA se réunissent, débattent entre elles, sans qu’il n’y ait jamais la moindre animosité car chacune possède une programmation spécifique répondant à un problème donné, à un moment précis. Ensemble, elles forment un corps homogène dont les rôles dirigeants s’échangent selon les besoins. Cet état de fait contraste avec la société humaine dépeinte dans le roman, où chacun s’isole et tout s’individualise. Sans chaire, ils font corps tandis que, pour beaucoup, nous nous éloignons. Tout semble faux, artificiel, et nos personnages doivent revoir leurs principes et se remettre en question pour s’en sortir... ce qui, vers la fin, les pousse à se demander ce qu’ils seraient devenus sans l’intervention de Joachim.

Olivier Paquet, dont ce fut mon premier roman, nous livre une histoire proche de nous, dans une société où le libre-arbitre est sans cesse questionné. J’ai terminé ce livre avec malgré tout des incompréhensions, notamment sur les réels objectifs de certains personnages et sur la toute fin du récit. J’ai trouvé quelques scènes extrêmement rapides, quand d’autres s’éternisaient légèrement. Sans trop en dire, le lien qui unit trois personnages de l'histoire est à mon sens vu et revu. Mais le roman est riche en réflexion, et l’on est amené à se demander si les machines pourraient contrôler nos sociétés de manière plus juste, voire plus humaine. Si la réponse à notre bonheur se trouvait là, serions-nous prêts à l’accepter ?

LES MACHINES FANTÔMES
Olivier Paquet
éd. Atalante 2019
couverture : Aurélien Police
Sélection Prix Utopiales 2020

Les illustrations présentées dans l'article sont (dans leur ordre d'apparition) :
- Jakub rozalski ; 1920 afternoon tea, 2015
- Banksy, Boston, 2010
- Ludo, Nature morte Netflix, 2020, Paris X

L'auteur de cet article et désormais chef de rubrique Littérature de l'Imaginaire dans le journal bimensuel et sur le site de Kimamori est Amalia Luciani. Découvrez-la par ses propres mots :

Je m'appelle Amalia, j'ai 26 ans. Diplômée d'un master d'histoire, je suis passionnée d'écriture et de livres, tout particulièrement dans le domaine de la fantasy, de l'anticipation et des polars bien noirs et sanglants.
Mes articles sont parus dans divers journaux, dont en 2013 sur le site de l'Express. En 2012, une exposition individuelle à la galerie Collect'Art de Corte a célébré mes photographies, ma seconde passion. Enfin, en 2018, j'ai remporté le prix François-Matenet, à Fontenoy-le-château dans les Vosges avec une de mes nouvelles ayant pour thème l'intelligence artificielle. La même année j'ai co-animé une conférence sur la place des femmes en Corse, du 19ème siècle à nos jours, un des thèmes de mon mémoire de recherche à l'Université.

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