Chaque pin porte un nom
Écrire, tout comme vivre, peut être vu comme une tentative simplement de poser ses pas sur les traces d'un autre, qui a fait ce même chemin dans le passé. Les poètes japonais, tout du moins, le pensent. Et les écrivains occidentaux aiment écrire en s'appuyant sur cette idée. Le roman de Marion Poschmann innove sur ce sentier mille fois emprunté en insérant de l'humour et de l'incongru entrelacé avec le traditionnel énigmatique. Rappelons que ce roman, dans sa traduction anglaise, fait partie des finalistes du prestigieux prix Man Booker International 2019. Et c'est ainsi qu'il a attiré mon attention.
Le roman s'ouvre sur le départ subit d'un barbologue au Japon. Une nuit il voit sa femme en rêve ; elle le trompe. Il prend son rêve pour la réalité et déboussolé, en colère, il s'en va. Cet homme qui n'a pour ainsi dire jamais voyagé dans sa vie, si ce n'est dans les livres et pour des fins intellectuelles décide d'emprunter le chemin d'un des plus grands poètes japonais, et de se rendre aux "îles aux pins". Le destin lui jouera des tours naturellement, au titre desquels une rencontre avec un jeune garçon japonais, Yosa, qui souhaite en finir avec la vie. Les deux compères font dès lors chemin ensemble. Le tracé du chemin s'improvise au fil de leurs lectures, car Yosa de son côté possède le manuel des "meilleurs conseils et lieux pour se suicider" !
Le roman n'est pas tragique. Il contient une forme de drôlerie et il nous offre aussi mille bribes de connaissance de la culture japonaise. J'ai été absolument ébahie par un passage qui passe en revue toutes les tailles différentes de pins. Un nom précis est dédié à chacune de ces façons de tailler l'arbre, dont découlent des symboliques et des images poétiques. Le lecteur passe de la surprise à la fascination, de l'incrédulité à l'incompréhension, jusqu'au moment où il lui faut décoller. Le vrai chemin est céleste, insaisissable avec les capacités intellectuelles. Et c'est cela que vit notre personnage principal, bon allemand érudit, souvent impatient, très sûr de sa bienveillance envers autrui.
J'avoue pour ma part qu'à la première lecture je n'ai pas su lire la drôlerie du texte. J'ai lu le roman trop vite, et j'attendais quelque chose. J'attendais qu'on me dise où on allait, ou qu'on me le donne à voir à la fin du roman. Mais non ! C'eût été trop simple. À chacun de comprendre ce qu'il pourra, et à tous, un petit conseil, il vaut mieux lire lentement. Est-ce une allégorie de la vie : vivons lentement, cessons de nous précipiter vers la fin, car la fin, tous, nous la connaissons bien. Je ne sais pas. J'ai parlé de ce livre à notre club de lecture en demandant aux participants de notre cercle de le lire, et de m'éclairer...
Je vous invite donc à en faire de même. Lisez ce roman et revenez vers moi pour me raconter, m'expliquer votre part de compréhension du récit. Et ensemble nous en créerons une vision plus large, ou plus énigmatique !
Les illustrations présentées sont les estampes de :
- Hokusai,
- Hiroshige
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.