L’endroit le plus sombre est sous la lampe

À la grâce des hommesCe livre est sans aucun doute un des meilleurs premiers romans que je n’ai jamais lus. J’ai bien tort d’ailleurs de le comparer aux premiers romans. Ce livre est magnifique, tout simplement. Et l’on se demandera comment une jeune australienne peut rendre si parfaitement sous sa plume une atmosphère de vie islandaise !

Car nous sommes bien en Islande. Une jeune femme vient d’être condamnée à mort pour complicité d’un double meurtre et en attendant la date de son exécution elle est envoyée dans une ferme de la région où l’on devra la garder et la supporter, la faire travailler dans les champs et dans la maison pour s’affranchir la crainte de la voir commettre d’autres crimes. Le froid est sévère et le tempérament des habitants de la région conforme au climat. Et pourtant une chaleur particulière semble se dégage de cette condamnée à mort qui vivra les plus beaux jours de sa vie entourée de ces quelques personnes qui vont l’accompagner jusqu’au seuil de la mort. En parallèle, la candeur d’un jeune prêtre saura lui délier la langue et permettre au lecteur de connaître son histoire, livrée progressivement, au goutte à goutte tout comme si notre meurtrière-narratrice vivait en apnée et ne pouvait délivrer ses messages que par bribes mesurées.

Le récit est poignant…

Hannah KentL’écrivaine parvient à insérer tant d’humanité et de solidarité dans ces pages teintées de mille nuances de crème, de beige et de boueux que l’on a du mal à discerner la source de blancheur étincelante qui vibre dans notre esprit à leur lecture. Cruauté, passion, pauvreté, calomnie, vengeance sont toutes des qualités d’une vie très imparfaite. Face à cela le souci du travail bien fait, la curiosité et la capacité d’apprendre, le désir de s’améliorer et de progresser, bien que solidement campés, ne savent pas sauver du malheur, pas plus que de la justice des hommes dogmatiques et obtus. On meurt seul et nul ne peut partir avec nous, mais si cette solitude se fait pain quotidien tout au long d’une vie, alors la condition humaine s’apparente au drame.

Eh oui, l’histoire, tirée d’un fait réel s’étant produit en 1828, n’est pas rose. Mais c’est un livre que je vous recommande sans un instant d’hésitation. La rivière de la vie coule tranquillement et bat sereinement au sein de ce petit bijou de livre.

Et comment résister à la tentation de citer une phrase du livre qui à mon avis s’applique très bien à l’écrivaine elle-même :

« Rosa’s poetry kindled the shavings of my soul, and lit me up from within. (…) Her poetry made lamps out of people. » (La poésie de Rosa embrasait les copeaux de mon âme, et m’illuminait de l’intérieur. (…) Les gens se faisaient lampes sous l’effet de sa poésie). L’ayant lu en anglais je vous livre ici une traduction maladroite, mais le récit paraît en France en mai 2014, pour notre plus grand bonheur…

À LA GRÂCE DES HOMMES
(Burial Rites)
Hannah Kent
éd. Presses de la Cité, sortie mai 2014
(v.o. éd. Little Brown Co. 2013)
Traduit de l’anglais par Karine Reignier

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