Si l’imagination structure l’ordre de l’univers, si elle travaille à organiser les idées qui circulent, se forment et se transmettent, alors il est bon de lui livrer des fruits mûrs, juteux et délicieux ! C’est précisément cela que fait Patrick Rambaud dans son dernier livre et notre monde actuel en a bien besoin, peut-être… Non seulement je me suis goulûment délectée de cette lecture mais elle m’a également bercé l’âme de belles alternatives à la petitesse d’un univers contemporain qui ne cesse de tourner en rond! Et puis, quantité non négligeable, l’humour est au rendez-vous à chaque passage du livre, un style d’écriture adapté aussi!
Vous le savez tous, je suis une passionnée des philosophies, sagesses et légendes de l’Asie, et celles de la Chine en tête. Ici, l’auteur nous raconte la vie de l’homme au rêve du papillon, un de mes personnages cultes…
Tchoung Tseu, ou Zhuang Zi est bien connu de nos contrées depuis quelques temps déjà : cet homme qui se lève un matin et se demande s’il est un papillon qui rêve d’être un homme ou s’il est un homme qui vient de rêver d’être papillon. Sa vie, les perles de sagesses qu’ils nous a laissées en héritage, prennent la relève de celles de Lao Tseu. Taoîste on dirait de nos jours. Homme Libre devrait-on dire tout simplement.
« C’était il y a vingt-cinq siècles dans le royaume de Song, entre le Fleuve Jaune et la rivière Houaï : Tchouang naquit les yeux ouverts et sans un cri. Il était froissé, édenté, chauve, puisque les nouveau-nés ressemblent aux vieillards : les hommes entrent en scène aussi démunis qu’ils en sortent… »
Eh oui, c’est ainsi que Tchoung arrive, ridicule et parfait, et il ne cessera de parfaire son ridicule tout au long de sa vie.
Patrick Rambaud a fait un joli travail de construction d’un puzzle. Il s’est inspiré de toutes les anecdotes de la vie de ce petit homme rondouillard, des bribes de textes qu’il nous reste de lui et a tapissé une vie entrelaçant la marche de l’Histoire et celle de la pensée. Tout est vrai ici, et pourtant c’est un roman, c’est de la fiction, ça se lit comme une bande dessinée. Dès les premiers mots nous sommes embarqués dans les aventures de ce fils de notable chinois qui s’évertuera tout au long de sa vie à être aussi inutile qu’une souche d’arbre desséché, tant il a su bien lire les hommes, à chaque page de sa fable de vie. Qui sait lire, sait vivre. Tchouang nous enseigne ce vivre où rien n’est à prendre au sérieux, à commencer par soi-même. N’oublions pas que le contexte historique qui est le sien est fait de corruption, de vilénie, de pouvoir, de misère, d’instabilités politiques etc. Comme diraient les anglais « it rings a bell ? », est-ce que ce contexte nous ferait penser à quelque chose ?!
LE MAÎTRE
Patrick Rambaud
éd. Grasset, 2015