« La couleur, de marbrée se faisait plus tendre, plus rose, plus onctueuse à chaque tour de main. »
Nous sommes tous, toujours, à la recherche d'un livre tendre, au cœur palpitant, à l'inspiration ample. Mais où se trouve une telle merveille, car bien-sûr on aimerait une intrigue, une écriture, un contexte pour donner saveur au livre désiré. Eh bien le voici, tout juste sorti en librairie. J'ai eu plaisir à lire Le Livre des heures d'Anne Delaflotte Mehdevi ; j'ai été heureuse de me fondre dans les couleurs, de résider un temps dans un atelier d'enlumineurs, et de visiter aussi un Paris de 1490. Je vous le recommande avec la même douceur qui m'a cueillie et bercée deux cent dix pages durant..
Nous sommes sur le pont Notre-Dame, à Paris, en 1490. Une petite fille séjourne là, en famille. Elle veille sur son jeune frère atteint d'épilepsie. Elle supporte les railleries de sa mère. Et elle se passionne pour l'atelier d'enluminure de son père et de son grand-père. Aussi, elle passe des heures, assise dans un coin de l'atelier à regarder les broyeurs, à ressentir les couleurs, à regarder ses ascendants dessiner. Et lorsque la beauté des peintures l'assaille, elle en pleurerait. La révélation ne tardera pas à venir : elle a hérité de l'art des hommes de la famille et elle sera autorisée à s'y atteler. Passant son temps entre l'atelier et l'apothicairerie de son parrain où ils se fournissent pour les teintes naturelles, elle se découvrira progressivement jeune fille puis femme. Sera-t-elle très vite mariée comme il est de coutume alors, ou parviendra-t-elle à s'imposer comme digne descendante enlumineuse ? Le roman nous le dira, et nous fera voguer au rythme des vagues successives qui feront ballotter son destin, sans avoir raison de sa fermeté déterminée.
Sur un fond de contexte historique le livre nous fait déambuler en cet autrefois, en ce Paris d'antan. Nous rencontrerons un exilé de Grenade qui a fui sa ville natale et espère partir aux Indes sur l'embarcation de Christophe Colomb. Nous humerons les parfums et les puanteurs de ces jours révolus. Mais surtout, nous nous tenons près du souffle de Marguerite, cette femme passionnée, et néanmoins soumise à son destin. Se soumettre ne veut, à aucun moment, dire aller à l'encontre de ses désirs et de ses choix, bien-sûr !
Ce livre est tout comme enchanté. Et enchanteur. Une histoire délicate s'y raconte et pourtant nous ne voyons que couleurs et attrait pour les choses de la vie. Au travers de notre personnage principal nous devinons comme la vie peut résonner avec la simplicité d'être soi-même .. si tant est que l'on sache suivre le tracé de ses essentiels. Quant au quotidien, aux détails, aux rebondissements et élans de l'âme, ils ont leur place d'excellence : Le livre d'heures. Car en ce temps-là on était en quête de SON livre d'heures. Qui pouvait se faire haute couture ou prêt-à-porter selon les possibilités de la bourse des unes et des autres .. et souvent, devenait le meilleur des confidents ! On écrivait dans ses marges. Les prières se doublaient des remous d'une vie.
Notre Marguerite aura le sien, et inscrira la poésie parfois chagrine parfois amoureuse de son existence. Nous, lecteurs, lisons dès lors un livre au dedans d'un livre et c'est peut-être pour cela que rien d'autre n'existe pendant ces moments où nous avons le nez dans le roman d'Anne Delflotte Mehdevi.
Il se passe bien des choses dans le roman, et je ne vous en ai rien dit. Je vous laisse découvrir par vous-même cependant que vous vous laisserez attendrir par l'histoire et par l'écriture de l'auteure qui nous entoure d'un calme paisible et étincelant.
LE LIVRE DES HEURES
Anne Delaflotte Mehdevi
éd. Buchet Chastel, 2022
Sélection Prix des Libraires 2022
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.
Comments
Je souhaite en savoir plus sur le langage des heures qui me parlent depuis quelques temps.