Fondation, tome 1
Dès le début de cette rubrique sur la littérature de l’imaginaire, il nous a semblé évident de traiter assez régulièrement de grands classiques du genre, en parallèle des nouveautés. Il s’agit de romans qui ont marqué la Science-Fiction, l’anticipation ou encore la fantasy et le fantastique d’une empreinte indélébile, voire même qui ont totalement réinventé et mixé les genres. Des lectures intemporelles que je vous invite à découvrir, ou à redécouvrir.
Mon premier choix s’est donc porté vers l’un de mes écrivains favoris, un visionnaire brillant et un auteur de génie. Il s’agit d’Isaac Asimov, docteur en biochimie et créateur, avec John W. Campbell, des trois lois de la robotique, bien connues des amateurs de science-fiction (Premièrement, un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu'un être humain soit exposé au danger ; Deuxièmement, un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi ; et enfin, un robot doit protéger son existence tant que cette protection n'entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi).
Et si je vous invite à aller dévorer son fameux Cycle des robots, c’est bien du premier tome de sa saga Fondation dont nous allons parler aujourd’hui, saga dont les trois premiers volumes lui avaient permis de remporter le prix Hugo de la « meilleure série de tous les temps » en 1966 …
- J’ai de l’argent.
- Ça peut aider. Mais les préjugés ont la vie dure… sale Smyrnien.
- J’ai beaucoup d’argent.
- Bon, je vais voir ce que je peux faire.
L’histoire débute par un postulat de départ simple. Nous sommes au treizième millénaire, et l’Empire n’a jamais été aussi puissant. Au cœur de sa capitale, le savant Hari Seldon met au point la psychohistoire, une science mathématique basée sur les statistiques et permettant de prédire l’avenir à l’aide de nombreux facteurs (sociaux, économiques, sociologiques…). Grâce à elle, la vie d’une société n’a plus de mystères pour Seldon, et ce sur plusieurs milliers d’années. C’est notamment le cas pour l’Empire, dont il affirme qu’un effondrement inévitable aura lieu d’ici cinq siècles, suivi par une période de ténèbres de trente mille ans avant qu’un nouvel Empire émerge. Pour le scientifique, que beaucoup surnomment Cassandre à cause de ses prédictions fatalistes, cette phase de transition peut être réduite à mille ans si les forces régnantes acceptent son projet, le seul – selon ses calculs – capable de raccourcir l’échéance ; partir avec 100 000 scientifiques et mettre au point la Fondation, une organisation chargée de rassembler absolument toutes les connaissances humaines dans une Encyclopédie, afin qu’elles ne se perdent pas au cours des années de ténèbres à venir.
Hari Seldon se retrouve alors face à de nombreux détracteurs. Il est jugé devant un tribunal et, même si on accepte son projet, c’est sur la planète isolée de Terminus qu’il est envoyé, comme un exil. Mais, avec la psychohistoire, rien ne peut réellement échapper au contrôle de Seldon, et son envoi sur cette planète aux confins de la galaxie et la mise au point de l’Encyclopédie elle-même ne semblent être qu’un prétexte…
Tout d’abord, il est bon de signaler que la narration est très particulière ; chaque chapitre est une nouvelle centrée sur un ou plusieurs personnages et sur la façon dont ils gèrent différentes situations. L’histoire s’étalant sur des centaines d’années, il est passionnant de voir que l’attachement que l’on ressent pour les Hommes ne peut être que fugace, car ils disparaissent le chapitre suivant, emportés par le temps. Seule la Fondation, héros à part entière, est le lien entre tous. Les personnages ne servent que de témoins de tous les virages et évènements qui la touche.
On pourrait croire que l'Empire est éternel. Et pourtant, monsieur le Procureur, jusqu'au jour où la tempête le fend en deux, un tronc d'arbre pourri de l'intérieur semblera plus solide que jamais. L'ouragan souffle déjà sur l'Empire. Prêtez-lui l'oreille d'un psychohistorien, monsieur le Procureur, et vous entendrez craquer les branches de l'arbre.
Au fil des années, la planète Terminus devient un objet de convoitise. Ce qu’Asimov fait avec la religion basée sur l’atome est fascinant. L’énergie nucléaire, dont les dirigeants de cette planète autrefois si peu enviable sont devenus les seuls possesseurs, est vénérée par des prêtres comme une aura divine, abrutissant les masses et permettant de sceller de juteux contrats grâce à des babioles scintillantes qui servent de cadeaux, pour négocier des échanges ou pour stopper des conflits latents.
Car, pour Seldon, « la violence est le dernier refuge de l'incompétence. ». Grâce à l’intelligence, à la réflexion et à la psychologie, Asimov nous démontre dans ce premier tome que nombres de conflits physiques peuvent être évités, même ceux qui semblent imprévisibles.
Après la mort d’Hari Seldon, son hologramme apparaît régulièrement aux différents protagonistes, et ce à chaque fois qu’une des « grandes crises » qu’il avait anticipées est sur le point d’avoir lieu. Le déroulement des évènements prévus par le scientifique permet à chaque crise de n’être résolue que d’une seule façon possible, et il y a toujours un personnage particulièrement avisé pour comprendre ce qu’il doit faire, ou ne pas faire car l’inaction la plus totale est aussi, parfois, un choix décisif. C’est pour cela que Seldon ne doit jamais trop en révéler, de peur de fausser toutes ses statistiques par des décisions imprévues, jusqu’au point de voir le futur lui échapper…
Tout comme la religion qui manipule les masses, le commerce est également un atout très important ; par exemple, la planète Korell déclare la guerre à la Fondation. Hors, cette dernière a introduit depuis trois ans sa technologie nucléaire sur ces terres, rendant son économie totalement dépendante de la Fondation et des matériaux qu’elle leur fournit. Le personnage de Mallow, un marchand, explique dans un dialogue final passionnant, qu’un climat de mécontentement s’installera sur Korell avec la panne progressive de tous les petits objets du quotidien fonctionnant avec des générateurs atomiques microscopiques (fours, système de régulation de la température, machines à laver…). Viendront ensuite les industriels, incapables de faire tourner leurs usines et qui se trouveront ruinés car privés des compétences que la Fondation a implantées. Les découvertes scientifiques des autres planètes sont au niveau zéro, toutes ont fait un bond en arrière de plusieurs siècles après l’effondrement de l’Empire, et l’emprise matériel de la Fondation (pourtant dépourvue de ressources naturelles) est donc un avantage considérable pour éviter la guerre.
Nul doute que Seldon a déjà tout préparé, tout prévu en cas de problème. Il se produira d’autres crises quand la puissance de l’argent aura décliné, comme c’est aujourd’hui le cas avec la religion. A mes successeurs de résoudre ces problèmes, comme je viens de régler celui qui nous occupe aujourd’hui.
C’est pour ce genre de chose que cette saga est passionnante et inégalée. Elle démontre l’âme de précurseur et de visionnaire qui habitait Asimov. Même si on se rattrape dans les prochains tomes, dans ce premier volume l’auteur parvient à maintenir une tension haletante tout au long du roman sans le moindre combat spatial. Auteur de bons nombres d’ouvrages de vulgarisation scientifique, il sait manier une plume de conteur et jamais on ne se sent perdu dans ses histoires pourtant foisonnantes : tout est limpide. Un personnage que l’on suit dans un chapitre devient une sorte de légende de la Fondation le chapitre suivant, des années plus tard, et pris en exemple par ses successeurs. Et ainsi de suite. Tout s’imbrique, comme les pièces d’un puzzle, pour nous conter la grande histoire de Fondation.
FONDATION
Le cycle de Fondation, tome 1
Isaac Asimov
Traduit de l'anglais par Jean Rosenthal
éd. folio SF 2009 (v.o. 1951)
Les illustrations présentées dans l'article sont :
- Michael Whelan, novembre 1992, couverture pour le magasine Asimov's science fiction,
- Œuvre de Richard Wrigh (Red Mine, Monochrome Red).
L'auteur de cet article et désormais chef de rubrique Littérature de l'Imaginaire dans le journal bimensuel et sur le site de Kimamori est Amalia Luciani. Découvrez-la par ses propres mots :
Je m'appelle Amalia, j'ai 26 ans. Diplômée d'un master d'histoire, je suis passionnée d'écriture et de livres, tout particulièrement dans le domaine de la fantasy, de l'anticipation et des polars bien noirs et sanglants.
Mes articles sont parus dans divers journaux, dont en 2013 sur le site de l'Express. En 2012, une exposition individuelle à la galerie Collect'Art de Corte a célébré mes photographies, ma seconde passion. Enfin, en 2018, j'ai remporté le prix François-Matenet, à Fontenoy-le-château dans les Vosges avec une de mes nouvelles ayant pour thème l'intelligence artificielle. La même année j'ai co-animé une conférence sur la place des femmes en Corse, du 19ème siècle à nos jours, un des thèmes de mon mémoire de recherche à l'Université.