Le bruit du Guéliz, de Ruben Barrouk

« Yak. Ce petit mot, ma grand-mère l'employait aussi souvent que possible. Si facilement, yak se faisait une place dans chaque conversation. Il signifie « n'est-ce pas ». Il est le petit dernier d'une fratrie de mots qui ne grandit jamais, qui de justesse parvient toujours à s'insinuer avant que les grandes portes de la parole ne se referment seules. Il se montre sous les airs d'un début de question et tinte comme le bruit de l'âme qui sème le doute partout. Il dit « rien n'est jamais certain, tout est seulement possible ». Il est le son du doute que ma grand-mère, sans peine, se plaît à employer à chacune de ses phrases. Ainsi yak, les choses peuvent être ou ne pas être. »

Secrètement, tout lecteur passionné attend d'une rentrée littéraire quelque surprise, quelque dose de découverte, et si possible une ou deux révélations. Pour nous, Tout le bruit du Guéliz, du primo-romancier Ruben Barrouk, aura été la grande révélation de la rentrée littéraire 2024. D'une écriture miraculeuse, d'un souffle ample, le roman nous berce et nous transperce. Son art se manifeste dans le fait que techniquement il ne se passe pas grand chose ici. Mais il suffit de lire quelques pages pour être en émoi, et à chaque nouvelle page lue le désir se renouvelle dans le cœur du lecteur que ce livre ne se termine jamais : que demain et chaque lendemain à venir il puisse s'y replonger et poursuivre son chemin dans les bras du récit.
L'histoire narrée est simple : une femme et son fils qui a la vingtaine se rendent quelques jours à Marrakech pour voir la grand-mère. Tous les enfants et petits enfants de cette grand-mère vivent en France. A l'ordinaire elle leur rend visite chaque année, et jamais elle n'a émis le désir de quitter son pays pour vivre avec eux. Mais cette année sort de l'ordinaire : grand-mère se plaint d'un bruit. Ce bruit hante sa vie et sa maison jour et nuit, prend le pas sur tout. Les enfants et petits-enfants s’inquiètent. Faut-il voir là l'approche d'une démence sénile, d'un appel au secours inavoué... Aller sur place s'avère la seule approche raisonnable pour résoudre le problème. La suite du roman, la majeure partie du texte en réalité, est le récit de ces quelques jours vécus à Marrakech, dans le quartier du Guéliz où habite cette grand-mère.
Le roman est aussi l'histoire - ou devrions-nous dire l'âme - de ce quartier du Guéliz, autrement dit de son passé, de son présent, du peuple qui l'habitait, d'un monde révolu. Si le livre est sublime c'est par la grâce qui rayonne de la phrase de Ruben Barrouk. Tout devient vivant et animé sous sa plume, que ce fût un mot, une rue, un bibelot, un mets culinaire, un vêtement, une photo. Les pages de Tout le bruit du Guéliz sont habitées d'une vie secrète, indicible et pourtant présente.
Le lecteur sera bouleversé par le lien entre les êtres, entre les trois générations de cette famille. Une intimité poignante se joue dans le moindre geste anodin du quotidien. Les toutes petites choses racontent la grande histoire. Subtilité, délicatesse et émotion se dotent d'une grande puissance de narration. Tout le bruit du Guéliz est un immense bonheur de lecture. Nous sommes très heureux de le voir dans la sélection du Prix Goncourt et du Prix Jean Giono que nous aimons tant.

TOUT LE BRUIT DU GUÉLIZ
Ruben Barrouk
éd. Albin Michel 2024
Sélection Prix Goncourt
Sélection Prix Jean Giono

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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