L’avenir, de Stéphane Audeguy

« Quand on le réveille en pleine nuit, certain qu'il ne voudrait pas qu'on attende, pour lui annoncer que la Joconde a disparu, Carlos Hernandès ne montre aucune émotion particulière - l'homme n'est guère expansif, d'une façon générale -, mais il s'envole immédiatement pour Abu Dhabi où il a regroupé les équipes scientifiques et techniques qui produisent dans le plus grand secret les fameux trakes. »

C'est amusant de commencer l'année en lisant L'avenir de Stéphane Audeguy, paru en janvier 2025. Avec dérision et finesse l'auteur nous fait parcourir une fin du monde, de l'humanité et de la terre tels que nous les connaissons ; il nous achemine vers un après, un recommencement peut-être. Il croque ce faisant nos existences actuelles, le monde de l'art, le patrimoine mondial. Le lecteur dévore le roman, a le sourire aux lèvres, et partage avec lucidité les constats tendrement brassés sur notre ère.

L'histoire commence avec la visite des musées. Li Fang, autrefois fervent défenseur de la révolution culturelle chinoise, devenu progresssivement amateur d'art, s'est pris de passion pour la peinture occidentale et plus précisément La Joconde. Plusieurs décennies lui ont été nécessaires pour parvenir à collecter les fonds nécessaires à son voyage en Europe et aux États-Unis où il va de musée en musée, pour finir au Louvre, face à La Joconde. Le hasard voudra qu'à l'instant précis où il décide de faire une mini-vidéo de l’œuvre - dans l'idée de remercier ceux qui ont financé son voyage - il en capturera la mort : le tableau du maître tombe en poussière, se désagrège. Et tous, du monde de l'art de de la politique de s'alarmer et d'enquêter... Mais voilà, ce n'est que la première d'une longue série de disparitions, d’œuvres figuratives les plus visitées au monde qui les unes après les autres tomberont en poussière comme par magie. Et cela même ne sera que le début de la fin, dont nous ne révélerons rien ici tant elle est grandiose et savamment installée.

La construction du roman est simple et exquise. Une première partie narre les événements, y entretisse les réactions de notre monde, des discours politiques aux déploiements les plus farfelus sur internet et les réseaux sociaux. Différents personnages, au nombre desquels Li Fang, sont introduits et mis en scène, patiemment racontés. Doucement le rythme des transformations s'installe avant de s'intensifier.
S'ensuit une deuxième partie où le narrateur - dont on avait soupçonné l'existence au détour d'une ou deux phrases énigmatiques de la première partie - prend la parole. Le lecteur apprend à le connaître, découvre son histoire, chemine à ses côtés et inévitablement le roman trouvera son dénouement lorsque les deux protagonistes majeurs du récit se trouveront réunis.

Si le roman parvient à nous ravir, et se laisse lire avant amusement c'est probablement dû au savant détachement inséré dans le regard porté sur « tout ça ». Le narrateur lui-même fait un pas de côté dans son parcours. Il prend de la hauteur. Le lecteur s'attendrait à le voir sombrer dans une mélancolie. Mais c'est autre chose qui est ici cueillie. Nous ne savons quel est le mot juste pour qualifier cette autre chose, mais il est évident que nous en sommes tous empreints, d'une manière ou d'une autre. Formidable roman, L'avenir de Stéphane Audeguy est une parfaite lecture de nos temps, une excellente visite du musée de l'humanité.

L'AVENIR
Stéphane Audeguy
éd. Seuil 2025
Collection Fiction & Cie

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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