La route de Lafayette, de James Kelman

« Il était juste lui et voilà ce qu'il était »

J'ai découvert l'écrivain écossais James Kelman avec ce livre, qui n'est pourtant pas son premier roman publié et traduit en français. Mais je m'intéressais aux récits tissés autour de La Musique pour notre Book Club mensuel consacré à cette thématique. Et en effet, il a nourri ma réflexion. Quel rôle joue La Musique, dans un livre, dans la vie?.. La réponse est limpide dans La route de Lafayette : elle nous permet d'être, de devenir ce que l'on est. Le chemin nécessaire pour y parvenir est merveilleusement rendu. Parcours intérieur, long et parfois éprouvant, il va de soi pourtant !

Un jeune garçon écossais de dix-sept ans quitte son pays natal, avec son père, pour se rendre aux États-Unis. Ils ont de la famille dans l'Alabama et ils ont besoin de repos. À quelques années d'écart, Murdo, le jeune adolescent, a perdu sa sœur ainée puis sa mère. Il ne sait pas si ce départ est définitif ou s'il s'agit de quelques semaines de vacances. Mais il sait que son accordéon va lui manquer. Son père n'a pas voulu qu'il le prenne avec lui. Or notre Murdo vit, respire, pense, existe par la musique et pour la musique. Le père et le fils s'aiment. Tous deux traversent le même tunnel sombre. Mais ils communiquent peu. Et semblent avoir du mal à comprendre l'autre. Leur douleur, qui est aussi leur secret à chacun, est enfoui, masqué. Le lecteur les accompagne dans le trajet qui les mènera chez l'oncle John et tante Maureen, restera à leur côté dans cette maison accueillante où il n'y a pas grand chose à faire. Et surtout, il espérera que Murdo puisse rejoindre le groupe de musiciens et chanteurs qu'il a rencontré dans le Mississipi, alors qu'ils étaient en chemin vers l'Alabama et s'étaient perdus dans la traversée du pays. Eh oui, ils ont raté leur car, ont passé une nuit à Allentown et les musiciens noirs américains, brièvement côtoyés par notre jeune accordéoniste de génie, l'ont invité à se produire sur scène avec eux, lors du festival de musique de Lafayette, en Louisiane. Ira-t-il ? Parviendra-t-il à convaincre son père de l'emmener ?

Je vous le disais en introduction : nous sommes, tout au long du livre, dans la tête de Murdo. Nous suivons son cheminement de pensées désordonnées, troublées, jamais formulées. Tant de choses se vivent en lui, tant d'émotions tournoient en lui, et elles sont empruntes de maturité, même si dans ses réactions il peut paraître irresponsable. Ce flux de conscience dans lequel nous sommes plongés, est en mouvement constant, toujours éparpillé. Sauf. Lorsqu'il écoute de la musique. Alors l'harmonie surgit, le repos s'installe, une libération semble possible, ou promise ..

Ce garçon est d'une telle sensibilité. Mû par le respect, porté par l'ouverture et la tolérance, rien ne lui échappe. Et il se sait différent, par là même, incompris. Sauf. Lorsqu'il côtoie d'autres musiciens, les excellents, ceux qui lisent la vie dans l'accord musical. Ceux qui savent guider, qui savent suivre, qui savent faire de la place à l'Autre. L'autre instrument, l'autre chanteur, l'autre avec qui l'on est en communication tout en étant absorbé par chaque note que l'on joue. Le lien entre les individus est transcendé dès lors que la musique s'en mêle.
Ah! Ces scènes de rencontres entre musiciens, mises en scène sous la plume de James Kelman, sont magnifiques. Si un idéal existait dans les rapports humains, ces scènes en seraient la parfaite illustration. Ample, absolue, essentielle, la relation se tisse et nul parasite, nul élément superflu ne peut s'y insérer. Mais comment notre jeune Murdo, qui ne sait formuler une phrase claire et compréhensible, peut-il faire comprendre cela à son entourage. Les adultes, les parents, pragmatiques et bienveillants, sont néanmoins à mille lieues de ses préoccupations, à lui. Le voient-ils tel que nous, lecteurs, le percevons, plongés que nous sommes dans son flot de pensées. A l'instant même où je me suis fait cette réflexion, j'ai réalisé que tous les êtres humains sur terre - et donc le père de Murdo, son oncle John, sa tante Maureen et les autres - ont leur propre flux de pensées, qui les occupe !

Sortir de sa solitude pour aller à la rencontre des autres relève de la magie. Et cette magie vibre et bat en musique. Elle est radieusement contée dans La route de Lafayette, qui nous en dit long sur l'Homme. Tout un chacun a besoin de se réaliser, mais aura-t-il le courage de s'y jeter, dans l'inconnu qui mène à l'émancipation ? Drôle, attachant et tendre, le roman de James Kelman est pourtant emprunt de lucidité. Et je ne vous en ai pas parlé mais il nous introduit à tant de courants et de morceaux de musique. Cajun, zydéco, blues et j'en passe !

LA ROUTE DE LAFAYETTE
James Kelman
Traduit de l'anglais (Écosse) par Céline Schwaller
éd. Métailié 2019 (v.o. 2016)

Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Affiche Zydeco musique Louisiane,
- Sculpture "Accordéoniste" d'Ossip Zadkine.
Les photographies mettant en scène la couverture du livre sont de ©murielarie pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

Leave a Comment