Moi qui aime tant la littérature japonaise, en général je suis très critique envers les écrivains occidentaux qui s’essaient à ce style bien particulier. Mais Hubert Haddad sait tout faire. Il écrit de la poésie, du théâtre, des essais, des nouvelles, des romans… Et souvent ses écrits savent dire l’Histoire merveilleusement, et même la devancer. C’était le cas dans son roman Palestine, mais également dans Opium Poppy paru en 2011. Dans Mā il nous invite un voyage dans l’art de la poésie japonaise, la vie d’un moine errant, et l’univers étrange qui exprime le sens de la vacuité.
Tout comme les cercles concentriques partagent un même centre, les destins d’hommes bien différents dans leurs parcours de vie peuvent tourner autour de la même essence. et ce livre trace en cercles concentriques le chemin de Shōichi qui fait miroir à celui du poète Santōka, lui-même faisant écho à celui de Bashō posant ses pas dans ceux de Saigyō, grands haïkistes de tous temps.
La marche à pied mène au paradis ;
il n’y a pas d’autre moyen d’y parvenir,
mais il faut marcher longtemps.
Voilà. Tout est probablement dit dans cette phrase sur laquelle s’ouvre le récit. Et voici comment Hubert Haddad a construit son récit : un jeune homme tombe amoureux d’une femme mûre qui essuie la douleur de la séparation avec son mari qui la quitte pour épouser une jeunette. Notre jeune Shōichi ne gardera qu’une seule chose de cette femme aimée et de cet amour perdu dont il ne se remettra pas : un manuscrit qu’elle lui aura légué. Elle a passé une vie durant à poser sur le papier la vie de Taneda Shōichi, le renommé Santōka, moine errant, buveur de saké notoire et haîkiste d’exception. Car à plusieurs reprises elle l’a croisé, très brièvement et s’est épris de ce souffle qui l’animait, et qui était si loin pourtant de sa propre vie. Nous voilà embarqués alors dans les mots de ce manuscrit qui palpitent au rythme de celui de ces poètes hors du monde et hors du temps. Le présent embrasse le passé qui enlace un passé encore antérieur. Et nos personnages marchent, et marchent.
Sur ce chemin
que personne n’emprunte
crépuscule d’automne
Bashō
J’ai aimé ce livre parce que le récit de Hubert Haddad s’approche merveilleusement de ce que contient l’âme japonaise, et de cet indicible qu’expriment les grands haïkus japonais. Arrivés à la fin du récit nous sommes emportés dans cet ailleurs qu’ont côtoyé les poètes d’autrefois. Et nous y sommes bien.
La neige efface chaque brin d’herbe
en sa propre apparence s’enfuit
le héron blanc
Maître Dōgen
Mā
Hubert Haddad
Éditions Zulma, 2015
L’illustration présentée dans cet article est de Toshio Tabuchi.
Tous les haïkus de cet article ont été trouvés dans Mā.
Vous pourrez retrouver dans les pages de Kimamori deux autres livres de Hubert Haddad commentés à leur sortie : Opium Poppy, et Le Peintre d’éventail.