La fileuse de verre, de Tracy Chevalier

« La Cité des Eaux possède sa propre horloge. Venise et ses îles voisines ont toujours paru figées dans le temps - et peut-être le sont-elles. »

Quel plaisir de retrouver Tracy Chevalier comme nous aimons la lire. Dans son précédent roman, La brodeuse de Winchester, elle nous transportait dan la Grande Bretagne de l'entre deux guerres au côté de brodeuses et de sonneurs de cloche. La Jeune fille à la perle nous invitait dans l'univers du peintre Vermeer. Avec La fileuse de verre nous sommes transportés à Murano où l'on côtoiera des siècles durant les familles des célèbres verriers de l'île.

Orsola Rosso, héroïne du roman, nous est présentée dès le premier chapitre dans une scène shakespearienne. Son frère vient de la faire tomber dans l'eau du canal. Trempée, frigorifiée et salie de boue non loin de l'atelier d'une famille de verriers rivale, sa mère lui ordonne d'y entrer pour se sécher près du four où elle se trouvera nez à nez avec l'effrayante dame de l'atelier, la seule et unique femme autorisée à travailler le verre depuis que le monde est le monde... L'atmosphère de ce monde secret est instaurée, et le destin de notre Orsola toute tracée. Car le lecteur suivra ses pas, traversera les siècles par la magie d'une narration malicieuse et verra de ses yeux les transformations du monde environnant pour cheminer jusque nous, aujourd'hui.

Le récit est hautement romanesque mais, sous couvert de la liberté de l'autrice qui déroule le fil du temps à sa guise et nous enchante par ses personnages fabuleux, la vérité d'un art et de l'artisanat, le savant travail du verre, se révèlent à nous.
L'Histoire et l'évolution de l'économie mondiale se dévoilent, toujours pour tordre les destins et nous instruire sur les effets du temps. Ainsi des conséquences et des transformations, des réinventions du travail de ces familles qui rebondissent par la grâce de leur imagination et par la force de leur détermination.

Embarqué dans les remous de La fileuse de verre le lecteur est toujours ancré et pourtant, ne cesse de s'envoler et faire de grands bonds dans le temps. Le roman est délectable et merveilleux. Tracy Chevalier sait regarder l'humanité de ses personnages ordinaires et remarquables à la fois, et in fine nous livrer le suc de leur expérience universelle.

N'oublions pas de rappeler que qui dit Murano dit aussi Venise. Surtout, posons quelques mots sur l'énigme du roman, sans toutefois divulguer son secret : le tems, comme les grands scientifiques nous l'on appris, ne coule pas à la même vitesse partout. Et le temps des îles, comme nous l'appréhendons dans ce livre, est autre...

LA FILEUSE DE VERRE
(The Glassmaker)
Tracy Chevalier
Traduit de l'anglais par Annick Neuhoff

éd. La Table Ronde 2024 (v.o. 2024)

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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