L'histoire du couple...
Roman après roman Peter Stamm explore la question du couple et de l'amour. Il observe l'attachement qui relie deux personnes, mis à l'épreuve au fil des années et des événements qui s'y insèrent. Dans son précédent roman, L'Un L'Autre, il avait commencé à prendre un chemin quelque peu surréaliste dans cette exploration ; ici, avec "La douce indifférence du monde", il pousse plus loin, il frôle le fantastique et se rend plus énigmatique que jamais. Mais c'est beau ! On peut faire mille lectures différentes du même texte. Toutes seront plausibles. Ceux qui aiment lire Peter Stamm l'aimeront plus que jamais avec ce dernier roman. Ceux qui le découvrent, s'ils acceptent qu'on ne comprend pas toujours tout dans la vie, l'aimeront aussi.
C'est difficile de raconter l'histoire de ce roman, parce qu'il est destructuré, et parce que ce "destructuré" participe à l'intérêt de l'intrigue. On peut dire qu'un homme et une femme s'aiment. On peut dire qu'ils se perdent à un moment de leur relation. On peut dire qu'ils se retrouvent. Mais on lira plusieurs versions de la même histoire, sans jamais savoir s'il s'agit des deux mêmes personnages ou non !
Un homme aime une femme, il la perd, et pense la retrouver mais alors elle a vingt ans de moins et elle est en couple avec un homme qui est le double du narrateur ! Voilà une autre façon de lire le livre. Les deux versions sont justes.
Mais j'aime mieux m'arrêter à "un homme et une femme s'aiment mais ne le sauront que plus tard". Il souhaite être écrivain, elle est comédienne... Ils traversent une crise de couple.
J'admire les livres qui sont brefs et qui parviennent pourtant à plonger leur lecteur dans un ailleurs, un autre monde, un autre temps. C'est le cas de ce récit qui, le temps de cent quarante et une pages absorbe toute notre attention. Une fois que j'ai eu terminé le livre j'étais amusée. L'écrivain ne nous guide pas, ne nous donne pas de réponses, ni d'indices tangibles. Vous en penserez ce que vous voudrez, vous aurez votre propre interprétation et compréhension de cette histoire, semble-t-il nous dire. Il n'a peut-être point de position figée. Le monde non plus, probablement... Est-ce là le sens de ce titre énigmatique "La douce indifférence du monde" ? Est-ce un oxymore, ou un constat ?
J'avoue que depuis que j'ai lu le livre je m'interroge essentiellement sur le sens du titre. Il est si doux et si beau qu'il ne nous frappe pas au départ. Mais alors, une fois qu'on connaît l'histoire de ce roman, et qu'on a conscience qu'on ne peut connaître parfaitement cette histoire, on a le choix de faire partie de cette douce indifférence du monde ou non. L'écrivain a décidé de s'interroger. Et sa quête se poursuivra certainement au fil de ses romans à venir. Pour ma part, j'ai décidé de continuer de cheminer à ses côtés, et me plonger aussi dans ses précédents romans ; non pas pour mieux comprendre, mais pour continuer de baigner dans cet univers où vivre l'emporte sur le questionnement intellectuel. On explore. Et on accepte de naviguer dans cet inconnu !
Alors pour terminer ma chronique je vous propose de lire quelques mots du texte lui-même. Mais avant cela, juste un mot pour vous dire que j'ai connu Peter Stamm par ses nouvelles : un très joli recueil de nouvelles, publié en anglais par la formidable maison d'éditions Other Press, sous le titre "We're Flying" (je vous en parlerai bientôt). J'étais allée au Festival du Livre de Brooklyn en 2013, et une jeune femme sur le stand de cet éditeur m'a conseillé cette lecture. Ce livre est toujours sur ma table de chevet. De temps à autre je lis une nouvelle dedans. Je suis toujours appaisée, entourée d'un silence tranquille quand je m'y plonge. L'univers de Peter Stamm m'est agréable.
« Trois jeunes femmes venaient d'entrer, elles s'assirent à la table à côté de la nôtre, chacune avait un babyphone. Regardez, dit Lena en montrant trois poussettes laissées dans le froid devant la boulangerie, ici les enfants apprennent très tôt que la vie n'est pas une plaisanterie. Je ne crois pas que l'on puisse s'habituer au froid, dis-je. »
Rappelons aussi que ce roman faisait partie des finalistes du Prix Médicis étranger 2018. Il n'est pas encore traduit et publié en anglais mais le sera probablement bientôt.
Les illustrations présentées sont des peintures de :
- Johanna Perdu,
- René Magritte.
La photo de Peter Stamm a été prise par Stefan Kubli.