Cette musique assourdissante
J'ai décidé de me plonger dans les premiers romans de cette rentrée littéraire 2019. Et me suis lancée, pour commencer, dans ce texte de Victor Jestin, jeune homme de vingt-cinq ans. Notons que La Chaleur vient d'être retenu dans les premières sélections du Prix Renaudot, du Prix Médicis et du Prix Femina. Pour ma part, je peux vous dire d'emblée que je n'ai pas été déçue. Plus qu'un roman ce récit a la force d'une novella. Ça commence fort, se développe de manière vertigineuse, se révèle à nous au milieu du récit et nous tient en haleine jusque la dernière page. Le tout est joliment ficelé en cent trente neuf pages... et l'histoire se déroule en moins de quarante-huit heures ! L'auteur a merveilleusement bien travaillé son personnage principal, aussi il prend son temps pour nous le faire connaître. Il nous fait entrer dans la résonance de cet être - et du mal-être de ce jeune - qui n'a que dix-sept ans mais qui perçoit déjà bien trop de choses pour son jeune âge. Je ne suis pas sûre que l'histoire m'ait convaincue dans son scénario. Mais justement, la chose remarquable est là : c'est l'écriture qui m'a happée. Le personnage, le décor, le déroulement, sont terribles, c'est-à-dire terrifiants de simplicité. Et le drame qui se joue sous nos yeux, triste...
Commençons par parler du décor. Nous sommes dans les landes. Une famille sympathique et dans la moyenne des familles sympathiques et modestes s'est payé le luxe de vacances dans un camping, pour la toute première fois. Les parents sont là, avec leurs trois enfants. L'aîné a dix-sept ans. Il est notre narrateur. Le roman s'ouvre sur cette nuit, précédant leur départ, où, comme toutes les autres nuits le jeune homme n'arrive pas à dormir. La musique assourdissante des fêtes organisées le rend fou, la chaleur le rend fou. Il n'a pas réussi à s'intégrer, à se faire des amis, à trouver une petite copine. Il ne s'amuse pas. Il en a marre d'être là. Il se lève, sort de sa tente, marche. Et il est témoin d'un suicide. Que fait-il ? Je ne vous le dirai pas. En lisant le roman vous le découvrirez dans les premières pages, mais il est important que vous lisiez la scène, comme moi, en étant dans la tête du narrateur. L'incompréhension vous saisira. Une nausée vous gagnera. Vous serez ahuris... et donc bien dans la peau de ce jeune garçon, dépassé par lui-même, inadapté... à lui-même. Et puis la journée du lendemain se déploie. Tout se passe pour lui de manière condensée en cette dernière journée. Tout ce qui aurait pu se passer durant ces vacances, longues, éprouvantes. Or tout cela arrive un peu tard, puisque la veille il s'est passé ce qu'il s'est passé.
Mais qui est ce jeune garçon. Comment expliquer ses réactions, ses réflexions, son attitude envers les autres ? On le saura, subitement, au coeur du récit. Et voilà ce qui m'a plu dans ce roman. On ne comprend pas le personnage, pas plus qu'il ne se comprend lui-même d'ailleurs. Mais au détour d'une phrase, d'une scène, subitement il se révèle à nous. En une fraction de seconde on fait sa connaissance. Et l'écrivain, bien jeune lui-même, m'a épaté par sa capacité à avoir gardé cette réserve délicieuse tout ce temps. Il ne ressent pas le besoin de nous expliquer qui est le personnage, de justifier ses actions et ses réflexions ou propos désobligeants. Simplement, durant quelques minutes il soulève le voile. Et l'on est profondément heurté par ce que l'on apprend, ce que l'on comprend enfin. Puis le voile se remet en place, naturellement, et l'entourage de notre Léo n'aura pas perçu ce que nous venons de voir. Mais le lecteur que nous sommes a pu s'attacher, en cet instant, au narrateur et personnage principal.
Je vous l'ai dit au début de cet article. J'ai mis le nez dans le roman et je n'ai pas pu le lâcher avant de l'avoir terminé. Happée, puis ahurie, et puis agrippée. Car il y a du suspense dans le roman. Il y a des rebondissements en quelque sorte. Il y a une promenade, au sein du camping, où l'on va à la découverte des personnages clé du roman. Un ami qui n'en est pas un, une amoureuse qui n'en est pas une, le frère, la sœur, la maman du suicidé, les parents du narrateur, et surtout, le lapin rose. Ce lapin rose est l'âme du camping. Cette âme que notre narrateur révère. Une superficialité, une présence creuse, vaine, artificielle et inintéressante caractérise le lapin rose. Et cet être creux, est en charge de tout. Les animations, jeux, soirées, programmes passionnants de cette vie de vacances relèvent d'un phénomène superflu. Au lieu d'offrir de la légèreté à Léo, le lapin rose le plombe, à l'unisson de cette chaleur caniculaire qui l'assomme.
Voilà. Je vous ai raconté bien des choses au sujet de ce roman. Mais mes propos sont superflus, et creux, un peu comme la présence du lapin rose. Pour faire la connaissance de ce jeune écrivain, il faut aller à la rencontre de Léo. En lisant la prose de Victor Jestin et en se laissant porter par les effets de sa plume, on n'aimera pas nécessairement les personnages qui y sont dépeints, ni l'univers dans lequel on sera plongé, mais on se souviendra peut-être de ses dix-sept ans que l'on a oublié depuis. L'angoisse, l'incertitude, les désirs inassouvis, et la difficulté voire l'impossibilité de communiquer... tout cela resurgira dans notre mémoire, et on aura peut-être envie de mieux aimer nos jeunes, et de les accepter tels quels.
Les images présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Jean-Roger Sourgen,
- Sophie Raine.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.