Hangsaman, de Shirley Jackson

L'auteure américaine à succès Shirley Jackson, décédée en 1965 à l'âge de 48 ans, a connu un rebond de notoriété en Europe lors de la sortie sur Netflix de la série horrifique "The Hauting of Hill House", librement inspiré de son roman du même nom. Pour de nombreux lecteurs, ce roman est un des grands noms de fantastiques du XXème siècle, voire « l'un des meilleurs romans fantastique de ces cent dernières années » pour Stephen King lui-même.
Depuis 2012 les éditions Rivages publient de nouvelles traductions de l'œuvre de Shirley Jackson. Avec Hangsaman, encore inédit en France, nous plongeons dans une histoire singulière, où rien ne semble certain et le réel bien difficile à cerner …
Beaucoup d'entres vous ont peut-être déjà entendu parler de la nouvelle de Shirley Jackson La loterie, sortie en 1948 : l'histoire se déroule dans un petit village où, chaque année, une grande loterie a lieu. Le grand gagnant de ce tirage au sort file droit vers une mort assurée, étant lapidé par le reste du village (ce que le lecteur ne comprend que tardivement !). Cette nouvelle d'une puissance remarquable a valu à son auteure un déferlement de courriers outrés et agressifs de nombreux lecteurs qui pensaient l'histoire inspirée de faits réels ... En voulant pointer du doigt les envolées haineuses qui, à force d'être répétées, deviennent banales, Shirley Jackson ne pouvait pas tomber plus juste.

«Elle chassa cette vilaine image obsédante en recourant à sa méthode habituelle - imaginer le délicieux picotement qu'on éprouverait à être brulée vive".

Shirley Jackson est donc maître dans l'art de l'étrange et du mystère, que ce soit du côté du fantastique ou tout simplement dans la complexité de la nature humaine. 
L'héroïne de Hangsaman s'appelle Nathalie. Elle a 17 ans et s'apprête à entrer à l'université. Elle va donc, pour la première fois, partir vivre loin de son père et de sa mère, de ce foyer familial dont se dégage une certaine gêne. Le père de Nathalie est une sorte de critique littéraire, assez imbu de sa personne et très sûr de ses capacités alors qu'il n'a pas réellement écrit grand chose dans sa vie, mais qui pousse sa fille à écrire. Il se plaît d'ailleurs à faire passer de longs entretiens à Nathalie pendant lesquels il lui fait corriger les écrits de son journal. La mère est plutôt discrète, entretenant une relation distante avec sa fille, avec qui la discussion semble difficile. Nathalie a ce qu'on appelle une imagination débordante, et c'est là tout le propos de notre histoire ; mais où s'arrête la réalité et où commencent les rêveries de la jeune femme ? Vraisemblablement agressée lors d'une réception chez ses parents, son imagination lui permet-elle d'occulter la réalité ? Son amie Tony, rencontrée à l'université et avec qui elle fugue, existe-t-elle tout bonnement ? Les nombreux passages, au début du texte, où Nathalie semble répondre à un interrogatoire de police promènent encore plus le lecteur entre la frontière de l'imagination adolescente et de la réalité. Mais quelle confiance pouvons-nous accorder à ce narrateur ?!

Une fois à l'université, dont les élèves sont uniquement des filles, rien ne semble changer réellement pour Nathalie. Elle est en marge, et peine à se faire des amies. Poussée à son paroxysme, la quête d'identité de Nathalie trouve écho chez le lecteur, pourtant très souvent perdu dans la narration, ne sachant plus très bien distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux. Le passage difficile de l'enfance à l'adolescence et à l'âge adulte est finement développé, et ce de manière très immersive. Nathalie est épuisante, irritante, tout autant qu'intéressante et attachante. La force avec laquelle elle va s'évertuer à nier et et enterrer au plus profond d'elle ce qui lui est arrivé est très touchante, et parfaitement rendue par l'écriture et la traduction.

Les seules personnes avec qui Nathalie, toujours réfugiée dans son imagination, va créer un semblant de lien sont un de ses professeurs, Langdon, ainsi que sa femme, une de ses anciennes élèves qui est une alcoolique notoire totalement désabusée par sa vie ennuyeuse. Sans oublier deux étudiantes, très passionnées par le désir de s'accaparer ce fameux professeur, se moquant ouvertement de sa femme. Bref, une ambiance encore une fois assez pesante ! Ce professeur prend, en quelque sorte, la place du père de Nathalie, non moins gênant que ce dernier.

La nouvelle La loterie avait été adaptée en bande-dessinée par l'illustrateur Miles Hyman, petit-fils de Shirley Jackson. C'est à lui que nous devons également la magnifique couverture d'Hangsaman
Le personnage de Tony semble être une certaine partie de la personnalité de Nathalie, qu'elle doit laisser partir afin de se relever et devenir enfin une adulte forte, sûre d'elle et indépendante. Du moins, c'est mon interprétation …
Hangsaman est le deuxième roman de Shirley Jackson. Tout en étant déstabilisant et singulier, il dresse déjà les thématiques fétiches de l'auteure ; le trouble des personnages féminins, souvent enfermés dans des couples anxiogènes, la solitude, le fantastique et la violence sociale. En partie inspirée de la disparition d'une étudiante en 1946 - Paula Jean Welden - Hangsaman n'a pas un suspens à couper au couteau, mais sait dépeindre ce passage si particulier vers l'âge adulte, vers « la femme », surtout chez les jeunes filles de cette époque parfois si seules et incomprises.

HANGSAMAN
Shirley Jackson
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Fabienne Duvigneau
éd. Rivages/ Noir
Photo de l'article : William Merritt Chase, Portrait of Dora Wheeler, 1883
En couverture : Miles Hyman

La photographie en tête de l'article est d'© Amalia Luciani pour Kimamori.

Cet article a été conçu et rédigé par Amalia Luciani.

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