Céline Minard a sorti le grand jeu, et ce n’est pas la première fois qu’elle procède de la sorte. Avec chaque nouveau livre elle se recrée et nous offre une chose nouvelle, inattendue et parfois, comme ici, surprenante. J’ai adoré ce livre et c’est dû en grande partie au fait que j’ai lu le récit à la lueur de mes références de philosophies et contes asiatiques. Mais il met en scène aussi une question très actuelle, le désir des survivalistes de se rendre entièrement autonomes.
Le récit peut être présenté très simplement : la narratrice quitte notre monde pour se percher en haut d’une falaise, dans une région inhabitée car bien peu avenante. Elle s’est fait construire une demeure à l’architecture révolutionnaire, une sorte de tube infaillible, très high-tech, entièrement autonome dans ses besoins énergétiques, accrochée à une paroi d’un massif montagneux. Les provisions transportées par voie aérienne offrent plusieurs années de tranquillité à la nouvelle résidente. Néanmoins elle s’active. Mais, bien entendu, tout déplacement demande un savoir expérimenté d’alpiniste. Le moindre geste du quotidien exige des talents de savoir survivre à toute épreuve. Par dessus tout l’attitude intérieure requise pour cette vie étrange est celle de l’amour de la solitude et de l’auto-suffisance absolue. Mais au fil de son installation notre narratrice soupçonne, puis découvre, la présence d’un autre être sur ces terres hostiles. Et malgré elle notre solitaire sera bien tenue de percer les mystères de son voisin singulier.
La première partie du livre est ardue. Toute aussi ardue que les conditions de la vie de notre narratrice. Les phrases sont sèches, brèves, techniques, souvent énigmatiques. Elle décrit ses gestes, ses tâches, ses parcours. Et nous livre ses questionnements. Car il faut être habité par mille questionnements sur le monde et l’existence humaine pour s’imposer une telle épreuve. Va-t-elle s’adoucir, s’ouvrir à « l’autre », retrouver de la confiance en un quelconque voisin, et se laisser gagner par un renouveau de légèreté ? C’est un miracle qui lui serait nécessaire. Et c’est ce miracle qu’elle va voir se déjouer d’elle. Car l’éternité ne peut être gagnée que par un immortel. Et les légendes asiatiques savent bien nous en fournir des exemples hors normes !
Nous sommes tendus comme un élastique toute une partie du récit. Puis nous nous détendons, lentement, au côté de notre anti-héroïne. Elle prend de la hauteur, nous applaudissons. Elle se laisse désarmer, nous acquiesçons. Elle s’abandonne, et nous voici libérés… Ce livre porte une transformation dans l’âme de son lecteur, si tant est que le lecteur parvienne à suivre le fil !
Pour ceux d’entre vous qui n’ont lu aucun des livres de Céline Minard je vous conseille de vous plonger dans son Failler être flingué. Délicieux roman Western doté d’humour et d’imagination mettant en scène des personnage par lesquels vous serez charmés instantanément. Et pour les autres, je vous laisse lire mon article sur cette drôle de chose que l’écrivaine a produite avant Le Grand Jeu : Ka Ta. Ce devait être son entraînement nécessaire avant d’aboutir sur le chemin du présent livre. Il s’agit d’un petit texte qui s’apparente à un enchaînement d’arts martiaux. Dans tous les cas, poser le pas dans les écrits de Céline Minard est comme accepter de se faire funambule, avec le sourire !
LE GRAND JEU
Céline Minard
Éditions Payot & Rivages, 2016
Les illustrations présentées dans cet article sont de (dans leur ordre d’apparition) :
– Wu Zhen
– See Huge
– Zeng Xiaojun