J’ai rencontré et écouté Claire Messud à une conférence organisée dans le cadre du Brooklyn Book Festival ; j’ai été frappée par sa sobriété mêlée de profondeur, par sa tolérance s’exprimant dans la plus grande précision. Naturellement j’ai souhaité connaître l’écrivaine et sa plume, et lire ce roman qu’elle venait de faire paraître. Je ne regrette pas un seul instant d’avoir lu ce livre. Je ne manquerai pas non plus d’en lire d’autres, à commencer par son précédent livre « Les enfants de l’empereur » qui a connu un net succès.
Je qualifierais « La femme d’en haut » d’écrit très « intérieur ». L’écrivaine nous plonge au cœur de son personnage, une narratrice qui se scrute et qui, tout comme dans un long monologue, met sa vie en scène sous nos yeux. En quelque sorte il s’agit d’une longue confession de cette femme qui se trompe et qui est trompée, qui a pensé vivre pleinement, pour la première fois, et qui en réalité n’aura fait que s’accrocher à l’étincelle de vie d’autrui. Tout le long du récit notre narratrice se reconnaît comme la voisine d’au-dessus, cette femme insipide qui accompagne et soutient les autres : sa mère, puis son père, ses amis, ses élèves de CM2… mais reste seule. Pourtant elle avait voulu être une artiste. Mais elle se demande si elle n’a pas fait de l’art par procuration, si elle n’a pas été une femme invisible, flattée d’être enfin vue, un jour, par quelqu’un, telle qu’elle aurait désiré être être.
Enseignante de primaire, Nora voit arriver un charmant jeune garçon dans sa classe qui va transformer sa vie. L’enseignante est charmée par la mère de l’enfant, une artiste italienne, elle est séduite par le père, professeur émérite d’origine libanaise. Et progressivement elle aura le sentiment de faire partie de leur famille et d’être une proche collaboratrice de la mère dès lors qu’elles partagent un atelier d’artiste ensemble. Le récit démarre sous une note de colère, colère dont nous découvrirons la cause et le sens dans les toutes dernières pages du récit. Le livre semble construit sur du velours, et être empreint de sérénité. Floué celui qui se laisse prendre à cette apparence mille fois trompeuse !
Profonde réflexion sur l’art et ses limites, sur la vie et son éthique, sur la solitude et le partage, ce livre est un moment de vie qui contient par couches superposées des interrogations sur notre identité, liée à notre histoire et à nos origines, à notre courage et notre capacité à enfreindre les limites.
LA FEMME D’EN HAUT
(The Woman Upstairs)
Claire Messud
Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon
éd. Gallimard, 2014 (v.o. 2013)
Sélection Giller Prize 2013