À la cérémonie de remise du Prix International Neustadt 2014, on présenta Mia Couto comme un « contrebandier passeur de mots, un Robin des Bois, qui ravit l’acception des mots pour les rendre lisibles en toutes langues, amenant des mondes à priori très éloignés à communiquer. Chacune des phrases de ses romans est en soi un poème… » Et c’est bien ainsi que j’ai reçu cet écrit. Il est tant de mots, de formules, de phrases que l’on est tenté de relever, de mettre de côté afin de les déguster ensuite à satiété que la seule solution au final est de conserver précieusement ce livre pour le lire et le relire, et s’en nourrir chaque jour qui passe…
L’Accordeur de Silences a pour décor un pays qui a connu la guerre et la violence. Au coeur de ce pays universel l’écrivain imagine un monde isolé, autonome, où séjournent un père, ses deux fils, un Général – ancien soldat et chasseur au coeur tendre – et un âne. Coupé de toute communication avec le monde extérieur le père a ainsi choisi d’élever ses enfants en les gardant intacts de la folie terrestre. L’oncle les approvisionne régulièrement en toutes denrées nécessaires, et ce sera lui qui laissera une femme s’infiltrer dans ce monde clos. Cette occidentale est venue suivre les traces de son époux, qui se serait perdu dans ce pays.
« La première fois que j’ai vu une femme j’avais onze ans et je me suis trouvé soudainement si désarmé que j’ai fondu en larmes. Je vivais dans un désert habité uniquement par cinq hommes. » Le jeune narrateur est l’accordeur de silences. Sa présence apaise, chasse le brouhaha du monde parasite duquel le père a du mal à s’extraire.
Autoritaire, dictatorial, ce père obtus est persévérant dans le mal qu’il fait à ses fils et ne laisse rien passer au travers des mailles du filet qu’il leur a tendu. Et pourtant un jour il vacillera et flanchera ; enfermé dans sa folie il ne pourra faire autrement que vivre l’éclatement de son être tout en tentant d’essuyer la rébellion silencieuse des enfants bien trop grands déjà.
Comment savoir lequel des deux mondes mis en scène dans le livre est le plus favorable à l’éducation de ces garçons. Car au final ils franchiront la barrière de ce drôle d’enclos. Peuvent-ils épouser alors la réalité ? Quel attrait présentera cet ailleurs étranger pour ces enfants si envahis d’eux-mêmes, si peu préparés à la société des autres ?… La seule réponse réside dans la magie produite par la plume de Mia Couto. Peut-être qu’à force de relire chaque mot, de se laisser pénétrer des idées énigmatiques véhiculées, saurons-nous, lecteurs, percevoir le sens insensé de la vie et de la société des hommes, si touchants dans leur imperfection, si monstrueux dans leur sensibilité à fleur de peau !! L’Accordeur de silences est poésie, un monde imaginaire qui en réalité détient une jolie parcelle de la grande Vérité.
Écrivain mozambicain de langue portugaise Mia Couto est traduit dans une vingtaine de langues. Le Prix Neurstadt qui lui a été remis en 2014 a souvent été révélateur dans le passé de futurs prix Nobel de la littérature. Vous pourrez lire à ce sujet l’article suivant.
Et pour vous donner un avant-goût, voici deux citations extraites du livre :
« La saudade c’est attendre que la farine redevienne du grain. »
« Le silence est une traversée.
Un bagage est nécessaire pour oser ce voyage. »
L’ACCORDEUR DE SILENCES
Mia Couto
éd. Métaillié 2011 (v.o. 2009)
Traduit du portugais (Mozambique) par Elisabeth Monteiro Rodrigues
Les illustrations présentées sont les oeuvres de :
– Henry Valensi,
– Josef Hoeflehner.