Le tour du peuple
Vous le savez, je ne suis pas spécialement lectrice de polar ou de noir... mais je suis lectrice de tous genres. Et avec le dernier roman d'Hervé Le Corre je n'ai pas été déçue. Plongée dans les dix derniers jours de La Commune, en 1871, j'ai aimé lire Paris et son peuple dans le menu détail. Les Versaillais arriveront et Les Communards seront vaincus, nous le savons bien, mais ici nous vivons malgré tout en temps réel cette histoire, d'hier et peut-être aussi d'aujourd'hui. Étude de la société, noir terrifiant, polar doté de tous ses ingrédients, Dans l'ombre du brasier est un roman multiple, haletant, fort bien structuré, et écrit.
On dit souvent que les écrivains sont un peu devins et c'est souvent vrai. En l'occurrence, Hervé Le Corre a dû sentir le souffle intérieur de la France pendant qu'il écrivait son roman. Avec l'actualité récente des "gilets jaunes" nous sommes en plein dans le sujet du peuple. Qui est le peuple, que veut le peuple, que fait le peuple pour s'émanciper, sont autant de questions qui sont largement traitées ici. Le premier chapitre du livre nous plonge très vite au coeur du décor : Paris et les communards, les barricades, "la guerre" pour garder la ville. Chapitre après chapitre on nous présente les hommes et les femmes de Paris Communard. Les lignards ont fui, certaines petites gens les regrettent, mais pour la plupart la ville s'est organisée autrement, solidaire et joyeuse.
Bien entendu une intrigue policière est au centre de l'histoire. Des femmes disparaissent. Un bandit crapuleux au possible les kidnappe pour faire faire des photographies pornographiques d'elles et les vouer ensuite à des trafics traversant les frontières nationales. Il a un complice, cocher, difficile à cerner. Face à eux nous avons un relieur devenu inspecteur de police et son assistant moyennement fiable, un sergent communard et ses deux confrères soldat, et une femme ambulancière, la compagne du sergent, qui aura à craindre le pire. Cela nous donne un triangle de narrations variées. Les chapitres tournantes nous racontent les dernières heures de la femme, ou du sergent, ou de l'inspecteur, et au centre de tout, les malfrats les relieront inévitablement.
Analyse sociologique, roman historique, thriller haletant, L'Ombre du brasier ne cesse de nous faire frémir. Les âmes sensibles seront un peu heurtées par le traitement écœurant réservé à ces jeunes filles ; les férus de récits de guerre seront captivés par les actions que mènent les soldats au cœur tendre. N'oublions pas aussi les amoureux de Paris qui auront plaisir à retrouver leur ville tant aimée sous les atours de la Commune, et craindront pour ses murs lorsqu'elle sera bombardée sans égards par les lignards... Le plus attachant dans le roman est très certainement la proximité qu'aura le lecteur avec les gens du peuple et ses désirs, autrement dit la quête du bonheur simple, de l'amour, de la famille et du partage honnête.
Les tournures de phrases et la musicalité du texte viennent au service d'une autre préoccupation de l'écrivain : celle de débattre d'une question philosophique. La vilenie fait-elle partie de l'homme ? Eh oui, avec la Commune qui commence à tomber on s'interroge sur l'avenir de l'humanité. L'homme sera-t-il jamais bon, solidaire, bienveillant ? Le mal sera-t-il un jour rayé de la face de la planète. Le livre maintiendra son cap sur la légèreté et l'espoir. Les hommes au cœur bon devront s'évertuer à survivre pour porter le flambeau des grandes idées et les transmettre toujours.
Les images présentées sont issues de la BD "Le Cri du peuple" de Jacques Tardi.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.
Comments
Bonjour et merci pour cette chronique ! Je viens juste d’achever ce roman et il a réussi à me transporter pendant la Semaine sanglante. On sent que l’auteur a réalisé un important travail de recherche historique qui lui permet d’offrir un décor apocalyptique au développement d’une intrigue tout aussi efficace. J’en sors un peu groggy et surtout très ému. Un grand moment de lecture !
Merci pour votre commentaire lumineux qui m’a remis en mémoire ce livre excellent. C’est drôle, la semaine dernière nous l’avons évoqué dans un club de lecture que j’anime. Il mérite d’être lu ou relu aujourd’hui, deux après sa sortie en librairie .. et je vais de nouveau le conseiller, grâce à vous !