Coupez ! de Chris Brookmyre

« Les choses sont devenues incontrôlables à ce moment-là. »

Lecture estivale parfaite, Coupez ! de l'écrivain écossais Chris Brookmyre est un roman Noir délectable et drôle. Il se fait haletant, réaliste, tendre à tour de rôle et nous embarque dans une enquête tentaculaire menée par un duo improbable. Eh oui, lorsqu'on met le nez dans ce livre difficile d'en sortir avant d'être arrivé au point final !

Le roman s'ouvre sur deux premiers chapitres qui nous présentent respectivement Millicent et Jerry. L'une a 72 ans et vient de sortir de prison et l'autre entre tout juste à l'université. Elle a été maquilleuse professionnelle dans le monde du cinéma, pour les effets spéciaux des films d'horreur. Il est un fervent spectateur à l'œil acéré de ces fameux films d'horreur, depuis son plus jeune âge. Par un concours de circonstances ils vont se trouver colocataires - avec deux autres dames de l'âge de Millicent - et le hasard voudra qu'ils tombent sur un indice qui nous tiendra en haleine jusque la dernière page : ils vont se trouver à enquêter sur le crime pour lequel Millicent avait été condamnée. Alors qu'elle n'avait cessé de clamer son innocence, elle n'a pu réchapper des vingt-cinq années d'incarcération qu'elle vient d'écumer. Qui sont les vrais coupables, qui était mêlé à cette affaire, quels étaient les enjeux et risques encourus pour les responsables du meurtre .. Le lecteur espérera page après page que la détermination de Millicent et la finesse d'analyse du jeune Jerry viennent à bout de ces mille fils emmêlés de l'affaire. Sans oublier que leur candeur peut leur coûter cher .. leur vie même. Le dénouement arriver bien assez tôt, c'est-à-dire à la toute fin du livre !

Au départ j'avais voulu lire ce roman dans le cadre de notre Book Club thématique Cinéma. Parce que, vous vous en doutez, l'univers du cinéma, les coulisses des maisons de production et réalisateurs ambitieux sont omniprésentes dans le récit. Les dialogues, la narration même emprunte ses répliques légendaires au grand écran. Si les deux figures de Jerry et Millicent, qu'a priori tout sépare, se comprennent si bien, et ce dès les premiers mots - un peu vifs ! - échangés, c'est bien parce qu'ils parlent la même langue. Chaque parole prononcée est une devinette que l'autre saura décoder parce qu'il a les mêmes références ... cinématographiques.
Or voilà, je me suis très vite attachée aux personnages et à leur relation. Ces deux-là forment un duo parfait alors qu'individuellement ils sont si totalement imparfaits.

Notons que le lecteur n'a pas besoin d'être aussi fin connaisseur de ce cinéma d'horreur des années 50 pour déchiffrer l'énigme. Et Millicent de son côté aura quelques lacunes en cinématographie de ses années de détention. Mais le monde du pouvoir et de l'argent balise l'enquête. Et là, finalement, c'est une langue commune de toutes les époques, réelles ou fictives, qui nous parle. Les rebondissements et surprises seront de taille. La vie de nos protagonistes sera en danger, un peu plus à chacune de leur avancée dans les révélations successives, et de leur confrontation avec des personnages et franges humaines issus de leur passé.
Comme si tout cela n'avait pas suffi à ferrer le lecteur, lui faire oublier de lever le nez du livre des heures durant, un autre élément masqué devra faire surface. Cette découverte-là nous la craignons, Jerry est hanté par le secret qu'il lui faudra divulguer fatalement, à un moment ou un autre. L'enjeu cette fois-ci est autrement colossal. L'amitié, la tendresse qui lie nos détectives improvisés peut s'y cramer en un souffle.
Un parfait Noir ne saurait se passer d'un peu de piment psychologique. Les nerfs de Jerry et de Millicent seront mis à rude épreuve, mais puisqu'il leur faudra se faire face, à l'autre et à soi-même .. seul moyen, peut-être de sortir sain et sauf, vainqueur, de cette longue série de déboires essuyés tout au long de l'affaire.

Oui, j'ai beaucoup aimé la part humaine de ce polar, de ce Noir qui étincelle de toutes les vertus d'un excellent roman. Il porte notre regard au plus près de la société humaine ; il nous invite à plonger au cœur de l'âme humaine, de ses désirs, tentations, défaillances et de sa grandeur, de son courage. En cela l'âge n'y changera rien que l'on fût jeune ou moins jeune la pesée des âmes est même juge. Alors terminons cette chronique par la citation d'Oscar Wilde mise en exergue du livre : « La tragédie du grand âge, ce n'est pas qu'on est vieux mais qu'on reste jeune. »

COUPEZ !
(The Cut)
Chris Brookmyre
Traduit de l'anglais (Ecosse) par David Facquemberg

éd. Métailié, 2022 (v.o. 2021)

Les illustrations présentées dans l'article sont des affiches vintage de films d'horreur des années 50.

Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.

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