Au jour de la pesée des âmes...
Ces derniers mois, durant le confinement et le déconfinement, j'étais plongée, passionnément, dans Le comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas. Au sortir de ce roman fabuleux, grande fresque historique s'il en est, je n'arrivais pas à trouver une lecture à mon goût. Tout me paraissait fade, superflu, petit. Et puis j'ai vu Brune, fin d'un maréchal d'Empire, qui m'attendait sur ma table de chevet, et me faisait de discrets clins d’œil. Dès les premières pages, dès les premiers chapitres j'ai été happée. Mais, comment un roman historique peut-il être si haletant, me suis-je demandé sans cesse, alors même que le narrateur est mélancolique, et que ses mots sont fidèles au passé, son discours travaillé et authentique ?... Oui ; c'est un mystère. Qui nous régale ! La période trouble et passionnante à la fois, dite des Cent jours, est racontée dans le détail, vue depuis le midi de la France et en prenant pour point d'appui l'aventure malheureuse du maréchal Brune. Roman historique, Brune fin d'un maréchal d'Empire est tout autant un écrit philosophique que spirituel. Il explore l'âme humaine, confrontée à l'adversité...
Qui est Guillaume Marie-Anne, comte de Brune et maréchal de France ? Pourquoi Napoléon l'a-t-il mis à l'écart malgré ses bons et loyaux services, et surtout, pourquoi l'a-t-il réhabilité un beau jour après son retour, durant la fameuse période des Cent jours ? Le jeune Spada a été à ses côtés dans les derniers jours, les dernières heures de sa vie. Et ce Spada est assailli de remords. Il s'est isolé dans son île natal, la Corse, à Algajola, pour oublier cet épisode qui lui vaut des cauchemars. Or il reçoit un courrier, vingt ans après la mort de Brune, d'un inconnu qui se dit être le filleul du maréchal. Il enquête, il aimerait comprendre, il demande à Spada de venir le voir pour l'éclairer.
C'est ainsi qu'en 1835 Spada va revenir sur le continent, et se confronter à son passé. Il va se remémorer le chemin parcouru autrefois, alors qu'il protégeait Napoléon à son départ de l'île d'Elbe, et en route vers Paris. Il refera le chemin, dans son esprit, en sens inverse, alors qu'il accompagnait le maréchal Brune, et était chargé de le protéger mais aussi de le surveiller.
Alain Amariglio choisit un angle très précis pour nous immerger dans les flots de l'Histoire. Et son récit nous éclaire sur ce passé oublié, souvent mal intégré. Tous les détails exposés sont des faits avérés. Le roman est extrêmement bien documenté. L'auteur ne s'est permis aucun compromis avec la vérité historique. Néanmoins il a écrit un roman magnifique, humain, emprunt d'un souffle ample et généreux. Les personnages principaux ne sont pas des héros, mais ô comme ils sont dignes. Et le signe qui marque leur intégrité est naturellement leur mémoire infaillible. Spada n'a rien oublié. Jamais il n'a cherché à s'offrir ce luxe. Et aujourd'hui, en 1835, il veut enfin savoir. Pourquoi le maréchal est-il allé à sa perte, qu'avait-il à se reprocher ?
Le roman offre quelque chose de très magique au lecteur : la présence de l'homme qui s'adresse à Spada. Le filleul du maréchal Brune n'est autre qu'Alexandre Dumas ! Et il prend vie dans le roman. Des chapitres durant il est avec nous, il dialogue, il s'enthousiasme, il se creuse la tête. Quelle vivacité, quel esprit aventurier, quel sens de la justice... C'est notre Dumas, tel que nous l'aimons, qui ressuscite sous la plume d'Alain Amariglio et nous ravit. Les morts sont vivants, le passé est subitement très présent. L'héritage de certains grands hommes coule dans nos veines, et nous ne le savons pas toujours, du moins, tant que nous ne nous sommes pas plongés dans l'âme humaine, de tout temps admirable, de tout temps équivoque ! Et puis il est une chose encore qui passionnera le lecteur : le roman, s'il traite d'une histoire nationale, se veut avant tout régional. Connaissons-nous Marseille, Avignon, l'axe qui les relie ? Qu'ont vécu ces villes, qu'ont-elles ressenti et quelle part ont-elles pris dans les actes commis. Chaque ville et chaque région a ses propres couleurs. Désormais à chaque fois que j'irai à Avignon je repenserai à certains passages de ce roman qui se sont inscrits dans ma mémoire telle une scène de théâtre inoubliable.
J'ai une grande admiration pour les écrivains qui savent se réinventer livre après livre. Ces auteurs savent s'essayer à différents genres, faire jaillir la voix de narrateurs inoubliables, parfois issus d'un passé lointain et parfois ancrés dans un présent post-moderniste. Or à chaque fois ils excellent dans la voie empruntée. Alain Amariglio est un tel auteur, et de grande étoffe. Ses écrits sont toujours attachants, et les uns après les autres, ils sont essentiels. Pour comprendre le monde, pour regarder l'Homme avec des yeux perçants, il est bon de le lire. Et dans ce cas précis, avec Brune, fin d'un maréchal d'Empire, l'émerveillement est garanti pour le lecteur qui se pose sur les ailes d'un petit papillon nommé Spada.
BRUNE fin d'un maréchal d'Empire
Alain Amariglio
Éditions Les Monédières, 2019
Les illustrations présentées dans l'article sont :
- Le maréchal Brune, peinture de Eugénie Bataille,
- La ville d'Avignon, peinture de Pierre Bonnard.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.