Vers d'une vie, vers une nuit
Senteurs et parfums envoûtants, chuintements et froissis d'étoffes dignes des mille et une nuits, voyage imaginaire au cœur d'un moment indicible de beauté... voilà ce qui nous attend dès lors que l'on met le nez dans ce roman. Céline Debayle nous raconte l'histoire d'une nuit. Mais attention c'est une nuit d'amour qu'elle est allée chercher dans un lointain passé, pour nous lecteurs assoiffés. Charles Baudelaire avait une idole qui lui a valu des vers vibrants. Apollonie Sabatier, cette idole en question, ou ange gardien selon les mots du poète, de son côté, a inspiré bien des artistes et serait devenue elle-même peintre. L'histoire dit qu'ils se seraient aimé un jour, une nuit, dont on ne sait pas grand chose. Mais ce roman en sait long sur cette nuit-là, et nous révélera le tout, avec grâce. Notons que Baudelaire et Apollonie vient d'être retenu dans la première sélection du Prix du Premier roman, et il me semble que Céline Debayle méritait bien d'être remarquée, et, je l'espère, récompensée demain de ces pages tant capitonnées qu'aériennes.
Le récit est très bien documenté. Tout est juste, détaillé et expliqué. Les dates, les lieux, les noms apparaissent clairement et sont fidèles à la réalité. Les personnages de l'époque ainsi que les événement sont tous restitués. Théophile Gauthier et Charles Baudelaire, bien-sûr, dont nous retrouverons ici et là les vers insérés dans le texte, mais également l'amant de notre Apollonie à cette époque-là, le sculpteur qui a fait scandale avec son oeuvre réalisée à partir de moulures du corps de notre belle Présidente. Mille autres détails et précisions pourront fasciner le lecteur. Mais la beauté du texte est ailleurs. Elle est dans la richesse de cette atmosphère rendue avec délicatesse. J'ai aimé regarder les meubles qui jallonent la maison d'Apollonie. J'ai adoré me promener dans les rues de Paris et regarder les constructions et bâtisses d'époque. J'ai fondu pour les costumes d'Apollonie, j'ai eu la tête nauséeuse dès l'instant où j'étais plongée dans la composition de ses parfums ! "Le rendez-vous charnel" nous dit-on sur le bandeau de la couverture. Oui, c'est un rendez-vous charnel que nous donne ce roman, car chaque mot et chaque phrase sont sensuels, ensorcelants ; invites de transports vertigineux.
Dès son arrivée, Baudelaire est ébloui. Depuis cinq ans il admire ses contours parfaits, son exquise harmonie. Et ce soir, dans le vestibule aux oiseaux colorés et aux stores fleuris, plus que jamais la très belle rayonne. Tout en elle transporte le poète : le visage iconique, les yeux diamantés, la chevelure mordorée, parée en majesté avec une rose éclose, une plume bleue, un peigne en diadème. E la robe folle, bariolée or, violet, grenat, si aérienne qu'elle semble avoir des ailes.
« Votre toilette, chère Madame, est un papillon d'éden ! »
Apollonie rit, lèvres ouvertes, cou nu, renversé, offert à la morsure d'un baiser. Mais Baudelaire préfère les bonnes manières. Il saisit la main tendue et la baise avec dévotion. Un alizé de senteurs alors l'étourdit. L'île Bourbon et l'Arabie surgissent, des palmes bercées, des chairs de coco, La Grande Odalisque à la pipe d'opium. Le poète comprend vite le tour de magie. Des doigts mouillés de parfums d'ailleurs.
L'ensorceleuse !
Je ne vous ai pas parlé de la structure du roman, du dispositif littéraire simple et ingénieux. Le roman s'ouvre sur un début de soirée. Nous passons des chapitres qui se passent chez Apollonie, où elle se prépare et attend son invité aux chapitres où Baudelaire s'apprête à la rejoindre. Insérés entre ces chapitres nous avons des récits en italique : Apolllonie s'adresse à son amant, protecteur et bienfaiteur Alfred Mosselman. Sa colère contre cet homme est aussi grande que son attrait pour Baudelaire. L'un est idéalisé, l'autre maudit. Ainsi nous avons l'omniscience offerte par la vision des pensées de Baudelaire, des pensées d'Apollonie, et les mots mêmes d'Apollonie. Vers la fin du roman tout cela se sera allié pour nous faire ressentir une seule et même chose. Les opposés se rejoignent. Artiste, femme, muse, tout cela se lisse et ne laisse comme traîne que la voie humaine, avec son élégance et sa déchéance, ses désirs et ses aversions, ses amours et ses rivalités !
Voilà. Lire Baudelaire et Apollonie fut un délice. Être enveloppée de ses effluves, de son temps, de ses vers de poésie une réjouissance exquise.
Les portraits d'Apollonie présentés dans l'article sont les œuvres de :
- Vincent Vidal,
- Ernest Meissonier.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.