« Parle à ce qui en lui est encore sauvage »
Ce roman a été sacré Prix Première Plume 2021. Le prix porte un nom sensible, je trouve, et son lauréat lui va bien. Car Alain Mascaro, professeur de lettres des années durant, est parti en 2019 faire un tour du monde. Ce premier roman est né de ce grand voyage. Avant que le monde ne se ferme reflète l'esprit du voyage, libre, empreint de spiritualités hors frontières. Il retrace à sa manière l'histoire d'un siècle, le XXème, avec les ghettos et camps de concentration mais entremêlé d'un souffle humain issu de bien des pays et régions de notre vaste monde. Une lecture tendre, riche et de grande sagesse.
Le roman s'ouvre sur la venue au monde d'un enfant tzigane. Nous sommes au cœur de la steppe kirghize et le grand-père de ce garçon à naître vient de s'en aller. Les enfants le voient encore danser dans les cieux. Le jeune garçon, Anton, sera le fils du vent, tel que son père l'a vu en rêve alors qu'il était encore dans le ventre de sa mère. Il sera dresseur de cheveux, de manière quasi innée. Mais il sera lui-même tel un cheval qui galope à travers les temps, certains heureux, d'autres malheureux. L'équipée nomade qui forme un cirque traverse les contrées des pays de l'est. Inévitablement arrivera la seconde guerre mondiale et le destin qui sera dès lors réservée aux tziganes. Anton connaîtra les ghettos et les camps. Il fera des rencontres magiques, des êtres qu'il sauve, d'autres par qui il sera sauvé. A ses côtés le lecteur pourra voyager, longtemps et s'abreuver de l'Inde ou des Etats-Unis !
Personnages hauts en couleur tels le joueur de violon Jag, la petite fille énigmatique rencontrée un soir alors qu'Anton n'est encore qu'un enfant, Katia l'orpheline abandonnée, Simon le bienveillant et instruit juif au grand cœur, et bien d'autres font de ce roman une épopée aux dimensions multiples, que le lecteur aimera lire sans se presser, en dégustant chaque grand pan d'aventure.
Le livre ne compte que deux cent quarante cinq pages. Et pourtant la traversée de l'histoire narrée paraît bien plus étendue tant le souffle de l'écrivain est ample et discret à la fois. Nous vivons tout comme au rythme d'un voyage paisible, sans contrainte de temps, sans restrictions quelles qu'elles soient. On lira toutefois quelques mots à la fin du livre en italique qui nous renseignent sur les dates et lieux de l'écriture du livre : début d'année 2020 en Terre de Feu (Patagonie chilienne) et été 2020 en Thaïlande ! L'instant présent de l'auteur prend le dessus surtout, et il est savoureux, détaché tel un nuage tranquille qui vogue, observe et parfois commente.
Moi qui suis une lectrice à l'âme sensible, j'ai un grand mal à lire les récits de camps, de ghettos, d'abominations de l'humanité. Or là, j'y suis entrée, j'y suis restée, sans jamais être tentée de faire l'impasse sur une page pénible ou un paragraphe qui torture l'esprit. Tout est dit, absolument. Rien n'est laissé de côté, travesti ou tu. Mais si l'on n'abandonne pas sa lecture c'est parce que la grande, belle humanité - telle qu'on aimerait la rencontrer toujours - est présente constamment. Les actions et les désespoirs sont plausibles. Parfois héroïques, souvent en ligne avec les capacités de tout homme. Mais chaque solitude baigne dans l'entraide.
Puisque l'on parcourt le temps et l'espace, puisqu'on s'imprègne de bien des cultures et traditions, le roman s'évertue à les relier, à faire chanter leur résonance commune. Et nous atteignons alors une dimension spirituel dans le récit. Cette liberté tzigane, vivante par nature, est entendu et compris par tant d'autres peuples. La douleur, la souffrance avalées par un être humain peut être incommensurable, mais elle sera entendue par un autre être humain, au vécu si éloigné, néanmoins semblable. Et ce n'est pas par hasard qu'Alain Mascaro a choisi de poser son personnage principal dans la peau d'un tzigane.
« Yadia n'était pas tzigane mais avait manifestement une nette propension à se moquer de l'argent, à flamber ce qui finalement était bel et bien destiné à cela, puisque c'était du papier ! C'était une nomade elle aussi, et en tant que telle elle connaissait la valeur des choses : en fait, les choses n'en avaient pas, de valeur ; c'étaient les êtres qui comptaient, et eux seuls. »
L'écriture est portée par une musique intérieure, une mélodie silencieuse. Et là encore, le personnage le plus énigmatique, que l'on perd de vue et que l'on retrouve, qui a tout appris et transmis à Anton et qui semble connaître les avenirs sans le savoir, est le joueur de violon de la troupe tzigane. Mélopée, complainte, romance .. le tout se forme dans la gaieté et nous offre ce conte, Avant que le monde ne se ferme.
AVANT QUE LE MONDE NE SE FERME
Alain Mascaro
éd. Autrement, 2021
Lauréat Prix Première Plume 2021
Les illustrations présentées dans l'article sont les œuvres de :
- Frédéric Menguy,
- Germaine Ribout.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.