Alors c’est bien, de Clémentine Mélois

Une voix d'enfant

Crème et chat qui ment, de Dostoïevski, Le désert des Boursins de Dino Buzzati ou Wifigénie de Racine, voici quelques titres approximatifs, contrepèteries et autres calembours que l’on découvre dans Cent titres, le livre (précédé d’une exposition) qui a fait connaitre Clémentine Mélois. Elle est aussi l’autrice de Dehors la tempête, un livre à lire et faire lire pour éprouver ce qu’est l’unique plaisir de la lecture. L’autrice se demande ainsi comment sont préparés les sandwiches du commissaire Maigret, obligé de passer des nuits au quai des Orfèvres pour cuisiner le suspect. Clémentine Mélois fait partie de l’OULIPO comme Hervé Le Tellier, comme Jacques Roubaud et avec des auteurs comme eux, on sait qu’on ne s’ennuiera pas et que la rigolade sera au rendez-vous, avec l’intelligence et la finesse qui l’accompagnent. Son père, Bernard Mélois, était sculpteur. Il habitait Villers-Cotterêts, travaillait dans un atelier rempli d’objets de toutes sortes, ne cessait d’inventer à partir d’une matière première, l’émail. Ses filles et lui écumaient les décharges et déchetteries, pour trouver de quoi inventer. Il collectionnait ainsi les seaux hygiéniques sans âge, et son entrepôt était orné d’un portrait. Au moment de sa mort, c’était celui d’Eric Dupont Moretti, le Garde des Seaux. On le voit, la fantaisie est familiale. Pas seulement elle : la tendresse, l’amour filial ou conjugal, la simplicité voire le goût d’une certaine austérité.

Clémentine Mélois écrit après la mort de son père mais son récit, Alors c’est bien commence
avant cet événement, avec lui.. Il a tout préparé et notamment choisi l’emplacement de sa tombe. Sa fille choisit celle du cercueil, un bleu RAL 5002 fabriqué sur mesure. Ses deux autres filles concevront l’intérieur, avec quelques tissus et décorations. Mieux vaut faire beau, le voyage va durer.
Si les préparatifs durent, ils ne constituent pas la seule matière du récit. L’écrivaine fait alterner de courtes scènes, des instantanés ou bouts de dialogue qui donnent à voir et entendre cet artiste singulier qui n’aimait pas les mondanités, les honneurs et tralalas de toutes espèces. Sur le faire-part de décès, ses filles ont fait supprimer le « Monsieur ». Mais la dame des pompes funèbres a refusé que « mort » remplace « décédé ».  L’euphémisme reste de rigueur.

Notre sculpteur – à toutes les cérémonies - préférait son travail : chercher ce qu’il allait fabriquer. Un petit coup d’œil sur internet donne une idée de ses œuvres aux titres souvent réjouissants : « Origami 4 ter Ratatouille », « Hep, Monsieur, vous avez le feu au cul », « Le beau jardinier, cultiver ou être cultivé ». Le numéro 084 s’intitule « Bienvenue Clémentine » car comme l’écrit cette dernière, « Ses filles étaient un prolongement de lui-même ». Et son épouse, Michelle, plus que sa moitié. Il arborait un T shirt sur lequel était écrit « I love My Shell ». Il avait rencontré son éternelle amoureuse vers 1963, quand il étudiait aux Beaux-Arts de Nancy, après avoir quitté Malestroit, bourg du Morbihan dans lequel, jouons sur les mots, il se sentait à l’étroit. C’était la campagne encore très ancrée dans son passé, fermée, à tous les sens du mot. Né peu avant la guerre, il aurait dû partir en Algérie. Il s’était fait réformer. L’institution militaire craignait ces artistes tous fous et donc imprévisibles. Il avait échappé au pire, on le sait maintenant. Pendant un temps, Michelle a fait bouillir la soupe ou la marmite. Elle était professeure de français dans cette campagne de l’Aisne. Le temps passant, les agents arrivant, Bernard Mélois a été connu et reconnu sans que cela change quoi que ce soit à son existence. Et toujours, travaillant, il chantonnait ou écoutait « Petite fleur » (ce que l’auteur de ces lignes qualifiera de rengaine mais on peut aimer). Et puis la maladie est arrivée, une longue période pénible. Les trois filles ont fait le ménage dans son atelier alors qu’il était encore vivant. Il fallait rendre visible ce qu’il avait créé tout au long de sa vie. C’était l’ébauche d’un musée peut-être à venir, dans l’Aisne ou ailleurs. Cette période récente, celle de l’agonie, des dernières années, son écrivaine de fille l’évoque sans pathos, sans chercher à apitoyer. Rendons-lui grâce de cela. Cette pudeur, l’humour qui traverse les pages n’est pas pour rien dans le plaisir de la lecture.
Et pour qui s’interrogera sur la couverture du livre, dans ces bleus qu’affectionne la famille, on se demandera si Bernard Mélois et George Harrison, le plus discret et le plus brillant des Beatles (avis encore une fois personnel) n’avaient pas été sosies. Mais c’est une incidente.

Alors, c'est bien
Clémentine Mélois
éd. Gallimard - L'arbalète, 2024
Nomination Prix du Roman Fnac 2024
Lauréat Prix Méduse 2024

Article de Norbert Czarny.
Norbert CZARNY a enseigné les Lettres en collège, il est critique littéraire et écrivain. Ses articles sont disponibles à La Quinzaine littéraire, En attendant Nadeau et L’École des Lettres. Son dernier livre, Mains, fils, ciseaux, éditions Arléa, est paru en 2023.

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