L'art de vivre, l'art du roman !
Nous connaissons tous don Quichotte, ses combats livrés aux moulins à vent, son écuyer fidèle Sancho Panza mais peu d'entre nous a lu Cervantès. Voici le moyen formidable de revisiter Cervantès : se plonger dans le roman d'Andrés Trapiello. Car si Don Quichotte est le père du roman À la mort de don Quichotte en est le digne fils. Et j'aime autant vous dire, de suite, que j'ai été aux anges dès l'instant où je me suis plongée dans le récit. Un roman comme on n'en fait plus, un roman comme on en requiert toujours, si bien écrit, si bien mené, si fidèle au récit de départ... oui, ce texte est tant un bonheur qu'un délice. Je le découvre aujourd'hui seulement à l'occasion de la sortie en français de son deuxième tome : Suite et fin des aventures de Sancho Panza, dont je vous parlerai très bientôt. Mais commencez par lire celui-ci, vous ne le regretterez pas !
Les aventures de don Quichotte ont eu lieu. Ses proches ont réussi à le ramener et le garder chez lui. Trois mois se sont passés depuis son retour. Or une grande mélancolie ronge son âme, à tel point qu'il est alité et son état de plus en plus grave. Le roman commence sur cette dernière nuit où les uns et les autres le veillent, avant qu'il ferme les yeux à jamais. On retrouve sa nièce, le barbier, le prêtre du village mais également le bachelier Sanson Carrasco, le notaire, le garçon de ferme... et une Quiteria dans le rôle de gouvernante, au service de Alonso Quichano - alias Quichotte - depuis vingt-sept ans. Une centaine de pages au début du roman vont resituer les personnages, leur place dans le récit d'hier, et d'aujourd'hui, leurs liens avec l'hidalgo décédé. Et très vite la suite se met en place. La maison est endettée, les uns et les autres ont la ferme intention de séduire la nièce. La relation entre la gouvernante et la nièce se gâte. Et survient l'inimaginable. Qu'adviendra-t-il alors de ce tous ?
Umberto Eco a écrit dans un de ses essais qu'un personnage de roman est plus vivant, plus vrai, que tout être humain que l'on peut connaître en chair et en os. Ce livre en est une démonstration sublime, et drôle. Les personnages de ce roman, se lisent eux-mêmes, sous la plume de Cervantès. Ils en pleurent, de revivre le passé par cette voie. Sancho Panza, l'écuyer de Quichotte ira même jusque vouloir s'instruire, apprendre à lire, pour le seul fait de pouvoir se replonger dans ses aventures passées en lisant le récit rapporté par Cervantès. Vers la fin du roman on se trouve d'ailleurs dans un jeu de miroir où les uns seraient les reflets des autres. Ils découvrent que Cervantès avait écrit une suite qui porte le titre "La fin de Sancho Panza" et le pauvre écuyer frissonne de connaître sa propre mort ainsi annoncée. Les mises en abîmes successives sont maîtrisées par l'auteur, et délectables. Le lecteur se laisse embarquer par cette embarcation qui malgré tout le rappelle à lui-même de temps à autre. La vie en devient un théâtre, mis en scène dans le roman qui y invite ses protagonistes !
Bien entendu le propos d'Andrès Trapiello n'est pas de nous donner un nouveau Quichotte. Il nous invite à nous plonger dans le Quichotte de Cervantès car lui-même tout en redonnant vie aux personnages s'offre la liberté de les repenser, de leur donner une nouvelle vie, un nouveau destin. À tel point que l'on a effectivement envie de se référer au volume du Cervantès pour se remémorer ce qui était écrit au départ, là où il y a transformation, et là où il y a eu une évolution naturelle de ce qui avait été envisagé dans la version historique ! Nous écoutons les acteurs se remémorer leur rôle dans les aventures de Quichotte vivant. Ici, après le décès de leur chevalier fou ils ne sont plus le même. Ils ne seront plus jamais les mêmes. Ce volume-ci raconte l'année qui suit la mort de Alonso Quichado et se termine sur la promesse d'une suite. Suite désormais disponible, depuis la rentrée littéraire 2019 dans sa version traduite en français : Suite et fin des aventures de Sancho Panza.
À la mort de don Quichotte est un pur délice, je vous l'ai dit. Ce n'est pas dû au fait qu'il nous replonge dans don Quichotte. La grâce qui s'y meut en est la raison absolue. Le plaisir de lire est la chose qui guide le lecteur. La langue est belle, la construction de l'histoire, l'histoire elle-même, les retournements de situation, et ce petit côté suranné qui rehausse le tout forment un ensemble exquis. J'avoue aussi que j'ai trouvé le texte très actuel : il nous fait vivre le sens d'un "fake news"...
Merci à l'écrivain Andrés Trapiello, à sa traductrice Alice Déon et aux éditeurs espagnols et français qui portent leurs mots jusque nous...
Les images présentées dans l'article sont les peintures de :
- Lepeudry,
- Charles-Antoine Coypel.
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.