Lire est chose merveilleuse, c’est découvrir, faire une rencontre, partager un moment de vie avec… Mais relire est chose plus grande encore. Relire, c’est revivre. Revivre le moment vécu jadis à la première lecture d’un livre, retrouver son regard et son être lors de cette première rencontre. On sait bien pourtant que l’on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau, puisque l’eau de la rivière coule et se transforme à chaque nouveau courant. Alors relire, c’est revivre, autrement. Se retrouver pour se découvrir autre ! Et c’est bien cela que j’ai expérimenté en relisant Le Contraire de Un d’Erri de Luca. Le hasard de la vie me l’a mis entre les mains, une bonne dizaine d’années après ma première lecture, et je me suis laissé faire… pour mon plus grand bonheur.
Erri de Luca, vous le connaissez tous, par Montedidio ou par Trois Chevaux, deux livres que je vous conseille sans hésitation si toutefois vous ne les avez pas déjà savourés. Or pour moi, Erri de Luca fut d’abord Le Contraire de Un. J’ai découvert cet écrivain napolitain par ce recueil de nouvelles. Dans ce livre il me semble être au plus complet de lui-même. Profondeur dans le dire, économie de mots comme cela peut être caractéristique des hommes de montagne et d’escalade, beauté de la phrase, tendresse et délicatesse dans la manière d’enrober son lecteur, oui, tout cela… Et puis aussi l’Homme debout. Celui qui se lève pour prendre part à la vie, pour participer à son devenir en faisant de la vie, de l’Humanité, quelque chose de meilleur, de plus vrai, de plus approprié. Je ne dis pas militant, je ne dis pas engagé, ni révolutionnaire. Pourtant tous ces mots pourraient être employés. Je parlerais plutôt d’Utopie, cette chose qui ne peut trouver place dans notre esprit qu’à condition que nous ayons foi dans l’humanité et en la capacité des hommes de s’unir pour s’élever, ensemble.
Et dans ces brefs récits les personnages s’unissent et s’élèvent. S’élèvent sur les hauts sommets de monts imprenables dans l’escalade ou sur les pavés en combattant une tyrannie, un désordre. A chaque mot on lira l’Amour. La grandeur de l’amour et les limites que l’homme rencontre dans la pratique de l’amour.
Je ne saurais vous en dire plus, alors voici deux extraits :
Je regarde le ciel depuis l’enfance, depuis que la postière m’a dit que si l’on regarde toujours les bois les yeux prennent leur vert. Elle, elle avait les yeux noirs à force de lire les adresses. Moi, pour les garder clairs, je me suis mis à fixer les cieux.
Il te demande pourquoi tu ne t’es pas échappé. Tu ne le sais pas, mais oui, tu le sais, mais tu ne veux pas dire que tout à coup tu as eu honte de fuir, une honte plus forte que la peur. Si tu pouvais le dire dans ton dialecte « me so’ miso scuorno ‘e fuì », j’ai eu honte de fuir, ce serait précis, mais en italien ça fait bizarre l’intimité d’une honte, alors tu appuies plus fort le mouchoir sur le trou et tu te tais. Maintenant tu le sais, mais alors non : une quantité de courages naissent de la honte et sont plus tenaces que ceux venus des colères qui sont des élans vite refroidies. En revanche, les hontes sont faites de blé dur et ne sont jamais trop cuites.
Le Contraire de Un
Erri de Luca
Traduit de l’italien par Danièle Valin
Éditions Gallimard, 2005
Les illustrations présentées sont les oeuvres de :
– Eric Nolde
– Yann Le Quilleuc