Ian McEwan est largement connu et apprécié tant des publics anglophones que francophones. À l’occasion de la sortie de son dernier livre « L’opération Sweet Tooth », disponible en français aux éditions Gallimard, il était invité à la librairie Millepages, à Vincennes et un large public était venu à sa rencontre.
L’espace aménagé à cet effet était tant chaleureux que vaste. L’écrivain aux côtés de deux jeunes femmes vives d’esprit était confortablement installé dans un canapé rouge pourpre que vous pourrez admirer sur cette photo! Son air malicieux empreint d’intelligence amusée ne l’a pas quitté de la soirée cependant qu’il ne se départait pas de son taciturne élégant.
Nous autres lecteurs et lectrices anglophones et francophones nous étions donc rendus nombreux à l’événement. La salle, comble, ne perdait malgré tout pas une miette des mots tant de l’écrivain que de sa formidable traductrice. Nous n’avons pas eu le plaisir de l’entendre parler français mais à aucun moment il n’eut besoin de traducteur pour saisir les questions qui lui étaient posées dans notre langue.
Son dernier livre prend pour décor la Grande Bretagne des années soixante-dix, toujours hantée par de la guerre froide ; une Angleterre déprimée très en-deçà d’elle-même qui tente de glorifier les valeurs de l’occident en s’appuyant sur des services de renseignements généraux dotés d’espions hautement cultivés. Serena, personnage principal de l’intrigue, jeune femme belle et intelligente est une nouvelle recrue du MI5. Grande lectrice de bestsellers et romans à intrigue, et au rythme palpitant, s’éprend d’un écrivain aux goûts littéraires pourtant fort éloignés des siens. Espionnage et amour s’entrelacent pour former un écrit qu’Ian McEwan a eu à coeur de destiner tant aux lecteurs grand public telle Serena qu’à ceux, plus exigeants, à la recherche de procédés littéraire recherchés, de figures de style raffinées et d’astuces narratives finement menées…
« Je suis un écrivain mainstream, alors naturellement Serena est belle et intelligente, le livre met en scène une histoire d’amour… », Ian McEwan semble en paix avec lui-même et la diversité de son lectorat brassant large : « comme le disait Henry James, c’est le rôle de l’écrivain d’écrire des livres captivants… ». « Mais je souhaitais satisfaire à parts égales cet autre lectorat postmoderne aux attentes littéraires proches de celui de mon personnage Tom Haley. » D’où l’exploration de la possibilité d’un amour entre deux lecteurs diamétralement opposés !
Dès lors le livre traite de l’Art de la lecture et des modes de lecture. « On lit les autres comme on lit un livre et l’espionnage fait usage des mêmes qualités que celles du lecteur… » Les écrivains ne sont-ils pas aussi des espions, puisqu’ils savent lire les hommes et les percer à jour afin de les écrire, de les décrire dans la profondeur, lui a demandé Pacal Thuot. Ian McEwan en a convenu , tout en se délectant de remarquer que : « Nous sommes tous des espions » puisque la vie est faite de cette lecture de l’autre, à tout moment et dans tous types de contextes. Hormis peut-être l’homme actuel qui à force de dialoguer au travers de son écran d’ordinateur perdra la sensibilité nécessaire à ce décodage des expressions et comportements de son vis-à-vis »…
Ce sont de jeunes gens de 23 ans, collés à leurs écrans qui forment les rangs du MI5 aujourd’hui nous dit-il. Invité à faire une lecture dans les bureaux des services de renseignements généraux, il témoignait de ce constat malheureux. Mais, après tout, ne faisons-nous pas tous la même chose ? Fascinés par les technologies, les réseaux sociaux, le confort et la facilité qu’ils nous offrent, nous leur ouvrons la porte sans nulles bornes délimitant les travers qu’ils instaurent chez l’homme. Comment pouvons-nous nous étonner alors que la NSA dispose de toutes informations sur tous régulièrement mis à jour ?!…
N’oublions pas malgré tout que la vie d’écrivain est elle-même une vie de solitaire. « Comme le disait mon ami Christophe Hitchens, le paradis de l’écrivain c’est bien des journées de travail dans la solitude devant son bureau ; suivies, le soir, d’une vie sociale enrichissante… »
L’entretien ne pouvait se clore sans que la question de la sexualité, telle qu’elle est traitée dans les récits de l’écrivain, ne soit abordée. Et bien entendu les uns et les autres firent référence à son livre « Sur la plage de Chesil », orchestrant la première nuit de noces d’un jeune couple anglais prude d’une époque encore marquée par l’ère Victorienne. « Souvent on me dit qu’un livre comme Sur la plage de Chesil ne pourrait trouver sa place dans l’environnement actuel. Mais je ne pense pas que ce soit vrai. La gaucherie des rapports entre un homme et une femme qui se rencontrent et qui cherchent à se trouver dans la sexualité n’est pas une question obsolète. Hormis dans les films où un couple va immédiatement vivre une expérience sexuelle assouvissante, le chemin à parcourir entre deux êtres reste toujours entier et demande un minimum de temps. Même dans « Opération Sweet Tooth » je trouve cela bien court comme temps de rapprochement, une nuit passée ensemble avant de faire l’amour délicieusement au petit matin… » Ian McEwan nous a alors remis en mémoire ce succulent passage de « Sur la plage de Chesil » où les jeunes mariés sont à table l’un en face de l’autre, et où le marié « se demande comment, dans quelques heures à peine, une partie de son anatomie va se retrouver à l’intérieur de cette femme superbement intelligente qui est assise devant lui !.. »
Merci à la librairie Millepages, et à Pascal Thuot pour le savant dosage de finesse et de pertinence dans l’interview qu’il a menée auprès de l’écrivain. La soirée s’est déroulée avec fluidité. Intrigués au départ nous fûmes attirés puis convaincus de notre désir de lire et découvrir les livres de Ian McEwan.