Meilleur que l'original !
À quel point peut-on aimer écrire ? À quel point peut-on craindre l'écriture ? Lee Israel vous dirait que c'est même chose. Et c'est pour cela qu'elle a préféré s'échiner à écrire en se faisant passer pour d'autres auteurs. L'histoire mise en scène dans ce film est une histoire vraie : une écrivaine autrefois reconnue et révérée est dans la misère. Face à sa page blanche elle se demande comment elle va payer son loyer, soigner son chat, s'acheter de la nourriture. Elle tombe alors sur une lettre, correspondance d'écrivain. Et elle apprend qu'il existe un marché pour cela. Les collectionneurs et autres fans d'auteurs décédés donneraient cher pour mettre la main sur une correspondance inédite. Qu'à cela ne tienne. Lee Israel sait copier le style des auteurs et créer des formules qui leur collent parfaitement à la peau... plus vrai que nature ! Et où cela la mènera-t-il ? Qu'adviendra-t-il de son meilleur ami et complice dans l'histoire de faussaires... En regardant ce film vous le saurez et très probablement rirez et pleurerez à l'unisson avec les protagonistes cependant que l'histoire se déroulera.
Nous l'avons dit, tout ce qui est montré dans ce film s'est vécu dans la vraie vie, celle de Lee Israel. Elle a écrit un livre où elle raconte tout. Comment en est-elle arrivée là ? Qui était-elle ? L'histoire est si simple après tout. Être dans une mauvaise situation financière, cela arrive à tout le monde. Succomber à la tentation de moyens de subsistance peu légales, cela arrive aussi. Mais avec talent et dans l'art de l'écriture, voilà qui est plus inédit. Je fais un meilleur Dorothy Parker que Dorothy Parker elle-même dit-elle à un moment donné, et ce n'est pas faux ! Et tous s'y méprendront. Car ce marché spécifique des correspondances est friand d'inédits. La choses la plus invraisemblable devient plausible, détonante, hilarante. Cette femme a tout simplement le sens de la formule. Elle est caustique, pleine d'esprit et à mille lieues du politiquement correct. Elle nous charme, elle nous horrifie, elle nous choque. Mais nous finirons par l'aimer. Car cette histoire est celle d'une métamorphose, d'une transformation profonde d'un être humain qui n'était pas en quête de changement mais qui s'y frotte et s'y confronte. On a le cœur serré de la voir se perdre ainsi, s'enfoncer toujours et plus dans les actes frauduleux, et y prendre plaisir, consciencieusement. Elle aime écrire. Mais elle n'ose pas être elle-même...
Ce film est captivant par sa capacité à créer et restituer une atmosphère propre à la ville de New York, voilà pourquoi j'ai été immédiatement happée. Je me suis remémoré toutes ces fois où j'avais tant aimé marcher à Manhattan, dans le noir des soirées hivernales, dans le glacial des journées enneigées. Entrer dans les cafés façon New York, pousser la porte des petites librairies, fouiner dans les vastes étages de livres d'occasion, faire la queue pour moi-même en vendre quelques fois. C'est capitonné. C'est frotté. C'est unique. La caméra et le décor capturent cela à la perfection et nous y plongent sans retenue. Car cet homme et cette femme, ces littéraires artistiques de la faune locale nous racontent l'histoire d'une ville, d'une époque, d'un décalage délicieux qui aujourd'hui n'aurait pas la même saveur peut-être. La musique enveloppe le tout, et nous fait planer dans un autre temps, séduisant et à craindre !
Bien entendu je n'oublie pas de vous parler du jeu des acteurs. L'interprétation de ces deux rôles est réussie. Nous sommes gagnés par leur histoire. Nous entrons dans leur peau, dans leur logement. Nous comprenons le lamentable de leur situation tout en étant béats devant leur insolence. Quant à Jersey, dont je ne vous ai pas encore parlé, eh bien, je dirais peut-être que c'est le personnage principal, celui sur qui tout repose, celui qui fera basculer les choses, à jamais.
Voici donc Jersey, avec son joli petit minois noir et blanc, la seule âme qui m'ait jamais réellement aimée, dira l'écrivaine vers la fin du film. Et c'est ainsi que j'en viens à vous parler des thèmes abordés dans ce film : l'amitié, l'amour, la solitude. Que les maisons d'édition et les agents littéraires soient gentiment chatouillés, au côté des collectionneurs et autre intermédiaires du marché de l'occasion, cela va de soi. Que l'attrait du faux étincelant soit plus vaste que celui de l'authentique déplorable, cela va de soi aussi. Mais pour aimer et être aimé, faut-il encore parvenir à s'accepter tel que l'on est. Ces âmes en peine finiront par y arriver. Et pourra-t-on jamais les pardonner d'être ce qu'ils sont, sauvagement libres ?
Ah ! Et puis il est encore une chose délicieuse dans ce film. Ce sont les machines à écrire d'époque, les feuilles plus finement sélectionnées et préparées les unes que les autres, qui sont employées à parfaire l'authenticité simulée d'une lettre. On en serait presque nostalgique de ces lettres que nous écrivions autrefois, et recevions parfois. D'où la mélancolie qui se dégage de ces images. D'où la surprise qui nous gagne. Cette histoire est une célébration des lettres et de leur mal-façon. Telle une ironie du sort, lorsque l'écrivaine se met à écrire son propre livre, elle opte pour le traitement de texte sur un ordinateur !
LES FAUSSAIRES DE MANHATTAN
(Can you ever Forgive Me)
Réalisateur : Marielle Heller
Scénario : Nicole Holofcener, Jeff Whitty
Musique : Nate Heller
Directeur de la photographie : Brandon Trost
Casting : Melissa McCarthy, Richard E. Grant, Dony Wells, Ben Falcone, Jane Curtin, Stephen Spinella, Christian Navarro
Chef monteur : Anne McCabe
Chef décorateur : Stephen H. Carter
D'après l'oeuvre de Lee Israel
Sortie salle (en France) le 31 juillet 2019
Cet article a été conçu et rédigé par Yassi Nasseri, fondatrice de Kimamori.
Comments
Ce film est un petit bijou ! Les dialogues sont savoureux, le duo de comédiens excellent et fonctionne à merveille avec New-York pour seul univers où hors Manhattan point de salut ! Et l’on découvre le marché des collectionneurs de lettres d’écrivains, une niche où la falsification devient un art délicat… Atypique, drôle, grinçant, un régal !